Chopin
Philippe Guilhon-Herbert
Chopin, Philippe Guilhon-Herbert, Œuvres pour piano. CD Calliope, 74’45
Évoquant Chopin, Gide, qu’on a connu plus pertinent, dénonçait la prétendue superficialité du compositeur dans une pointe assassine: «Il se regarde fuir en brillant, sur ses escarpins à l’élégant vernis». S’il fallait chercher une raison d’être à l’enregistrement du disque conçu et interprété par Philippe- Guilhon-Herbert, elle se situerait dans la défense et illustration d’un compositeur à l’opposé total de celui de l’écrivain. Quel Chopin offre le talentueux pianiste français, impeccable technicien? Selon la formule, juste celle-là, due à Jankélévitch, et ici profondément illustrée, la musique du compositeur polonais exprimerait «la solitude d’une âme blessée». Aussi bien, on peut s’étonner que le récital s’ouvre sur la première Étude de l’opus 10 qui met en avant la prouesse technique, la fluidité de la ligne et la virilité des accords. Ici le piano chante et assène à la fois. Coupée d’autres études, cette page, souvent donnée en bis au concert, relève ici de l’exercice de démonstration, réussi mais détonant. Car toute la suite du disque fuit le brillant et choisit l’expressivité sensible, même la fameuse Polonaise baptisée Héroïque par George Sand, jouée vivement, mais sans tapage. L’élection de la Polonaise op. 26 n°1 permet à l’interprète subtilement d’ouvrir le chemin de l’âme du compositeur. On sent un Chopin inquiet et rêveur, se livrant, au-delà de la virtuosité, à une douloureuse introspection. La Ballade n°3 op. 47 ne peut masquer derrière le sourire et la délicatesse les tourments ou les doutes. Les deux Nocturnes, op. 55 n°2 et 48 n°2 offrent de l’artiste exilé la même vision de l’homme en souffrance qui s’interroge sur sa situation. La Fantaisie op. 49 n’est pas située par hasard au cœur de l’enregistrement. Ici aucun alanguissement, aucune complaisance, aucune virtuosité gratuite. C’est le cœur mis à nu. Et la Polonaise-fantaisie op. 61, œuvre majeure par sa dimension et sa situation en fin de CD, parachève le portrait d’un compositeur farouche et déchiré, déchirant. Dans chaque œuvre, Philippe Guilhon-Herbert sait jouer des couleurs, retenir le rythme, ralentir la mélodie puis la relancer avec une série de nuances harmoniques qui suspendent la ligne sans l’amollir. Cette liberté rythmique contrôlée a le mérite de captiver l’oreille et de construire un discours tenu et fluide, noble et souple, vivant, qui respire librement, passionnant à suivre.
On regrette que le livret bien maigre ne propose pas de piste pour exposer les intentions du pianiste et justifier le choix des œuvres. Du moins ce déficit met-il l’auditeur en situation d’écoute active pour rapprocher les pages, tracer son chemin personnel dans le voyage à la carte proposé. Dans cette écoute à nu, les œuvres de Chopin, servies avec rigueur et émotion, parlent directement d’homme à homme, d’âme à âme.
Jean Jordy
Écouter sur Apple Music.
Évoquant Chopin, Gide, qu’on a connu plus pertinent, dénonçait la prétendue superficialité du compositeur dans une pointe assassine: «Il se regarde fuir en brillant, sur ses escarpins à l’élégant vernis». S’il fallait chercher une raison d’être à l’enregistrement du disque conçu et interprété par Philippe- Guilhon-Herbert, elle se situerait dans la défense et illustration d’un compositeur à l’opposé total de celui de l’écrivain. Quel Chopin offre le talentueux pianiste français, impeccable technicien? Selon la formule, juste celle-là, due à Jankélévitch, et ici profondément illustrée, la musique du compositeur polonais exprimerait «la solitude d’une âme blessée». Aussi bien, on peut s’étonner que le récital s’ouvre sur la première Étude de l’opus 10 qui met en avant la prouesse technique, la fluidité de la ligne et la virilité des accords. Ici le piano chante et assène à la fois. Coupée d’autres études, cette page, souvent donnée en bis au concert, relève ici de l’exercice de démonstration, réussi mais détonant. Car toute la suite du disque fuit le brillant et choisit l’expressivité sensible, même la fameuse Polonaise baptisée Héroïque par George Sand, jouée vivement, mais sans tapage. L’élection de la Polonaise op. 26 n°1 permet à l’interprète subtilement d’ouvrir le chemin de l’âme du compositeur. On sent un Chopin inquiet et rêveur, se livrant, au-delà de la virtuosité, à une douloureuse introspection. La Ballade n°3 op. 47 ne peut masquer derrière le sourire et la délicatesse les tourments ou les doutes. Les deux Nocturnes, op. 55 n°2 et 48 n°2 offrent de l’artiste exilé la même vision de l’homme en souffrance qui s’interroge sur sa situation. La Fantaisie op. 49 n’est pas située par hasard au cœur de l’enregistrement. Ici aucun alanguissement, aucune complaisance, aucune virtuosité gratuite. C’est le cœur mis à nu. Et la Polonaise-fantaisie op. 61, œuvre majeure par sa dimension et sa situation en fin de CD, parachève le portrait d’un compositeur farouche et déchiré, déchirant. Dans chaque œuvre, Philippe Guilhon-Herbert sait jouer des couleurs, retenir le rythme, ralentir la mélodie puis la relancer avec une série de nuances harmoniques qui suspendent la ligne sans l’amollir. Cette liberté rythmique contrôlée a le mérite de captiver l’oreille et de construire un discours tenu et fluide, noble et souple, vivant, qui respire librement, passionnant à suivre.
On regrette que le livret bien maigre ne propose pas de piste pour exposer les intentions du pianiste et justifier le choix des œuvres. Du moins ce déficit met-il l’auditeur en situation d’écoute active pour rapprocher les pages, tracer son chemin personnel dans le voyage à la carte proposé. Dans cette écoute à nu, les œuvres de Chopin, servies avec rigueur et émotion, parlent directement d’homme à homme, d’âme à âme.
Jean Jordy
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Publié le 19/06/2018 à 22:02, mis à jour le 15/09/2019 à 19:50.