Marianne Crebassa
Secrets
Secrets, French Songs, Marianne Crebassa, mezzo-soprano, Fazil Say, piano. Mélodies de Debussy, Ravel, Fauré, Duparc, Fazil Say. CD Erato.
Chère Marianne Crebassa,
Un concert à la Halle aux grains de Toulouse nous a révélé votre talent. Vous y chantiez Shéhérazade de Ravel, embrasée par l’Orchestre du Capitole et son chef Tugan Sokhiev. Dans un premier enregistrement culotté Oh, Boy! , vous donniez vie à une galerie variée de rôles travestis d’opéras, Cherubin, Sexto de La Clémence, Fantasio, Niclausse des Contes d’Hoffmann, Lazuli de l’Etoile de Chabrier: y miroitait votre voix de mezzo chaude, souple, dense, colorée, tendre et fondante comme un fruit peut l’être. Dans la cour de grands (Di Donato, Lemieux, Spyres, Degout), vous composiez un frais, tonique, élégant Ascagne dans des Troyens d’anthologie que nous avons ovationnés à Strasbourg. Voici que parait (déjà!) un second CD joliment intitulé Secrets, et moins heureusement sous-titré French songs. Ici plus de déchainement orchestral, mais l’accompagnement dépouillé de Fazil Say, qu’on a connu plus fantasque et auquel vos arabesques ultimes rendent un sinueux hommage. Vous ne jouez pas la facilité, ni sur du velours, si ce n’est celui de votre voix, tant le programme s’avère exigeant et appelle de redoutables références (Ah! Crespin!) pour Debussy comme pour Ravel. Et le charme opère. Privées des moirures sonores des forces du Capitole, Shéhérazade, et singulièrement Asie emportent moins loin, moins fiévreuses, moins exotiques. Et la poétesse Bilitis née de l’imagination de Pierre Louÿs semble un peu sage, moins frémissante de sensualité qu’espéré. Mais elles troublent insidieusement. Et le Tombeau des Naïades a son poids de mystère tragique. Et les deux Flûtes créent d’heureuses correspondances. Et les Duparc (Au pays où se fait la guerre déchirant, Chanson triste à souhait, mais qu’une ardeur soulève), et les Fauré (Reflets dans l’eau languides, Danseuse incantatoire) et les Verlaine de Debussy respirent, aériens, ductiles, souples, liquides. Leurs aveux s’épanchent, pudiques et profonds comme des confidences. Et les mots parviennent, clairs et distincts, au cœur, sans que de vous émane la moindre affectation, qui accordez aux textes, un rien désuets parfois, la tonalité juste. Et les liaisons, respectées à la lettre, deviennent subtiles sources de fluidité. Et l’air a l’air d’être un soupir d’automne, comme le chantent Verlaine, et Debussy et vous. Les tièdes ou les purs vous reprendront sur une consonne trop amortie, une voyelle trop ouverte. Laissons, laissons-les à leur coupable dissection. Nous prenons vos Secrets, composés avec une si délicate harmonie, comme un cadeau précieux, heureux de savoir désormais qu’à la scène comme au disque vous nous en réserverez beaucoup d’autres. Et pour ces émotions, passées, présentes et à venir, chère Marianne Crebassa, merci.
Jean Jordy
Écoutez des extraits:
Chère Marianne Crebassa,
Un concert à la Halle aux grains de Toulouse nous a révélé votre talent. Vous y chantiez Shéhérazade de Ravel, embrasée par l’Orchestre du Capitole et son chef Tugan Sokhiev. Dans un premier enregistrement culotté Oh, Boy! , vous donniez vie à une galerie variée de rôles travestis d’opéras, Cherubin, Sexto de La Clémence, Fantasio, Niclausse des Contes d’Hoffmann, Lazuli de l’Etoile de Chabrier: y miroitait votre voix de mezzo chaude, souple, dense, colorée, tendre et fondante comme un fruit peut l’être. Dans la cour de grands (Di Donato, Lemieux, Spyres, Degout), vous composiez un frais, tonique, élégant Ascagne dans des Troyens d’anthologie que nous avons ovationnés à Strasbourg. Voici que parait (déjà!) un second CD joliment intitulé Secrets, et moins heureusement sous-titré French songs. Ici plus de déchainement orchestral, mais l’accompagnement dépouillé de Fazil Say, qu’on a connu plus fantasque et auquel vos arabesques ultimes rendent un sinueux hommage. Vous ne jouez pas la facilité, ni sur du velours, si ce n’est celui de votre voix, tant le programme s’avère exigeant et appelle de redoutables références (Ah! Crespin!) pour Debussy comme pour Ravel. Et le charme opère. Privées des moirures sonores des forces du Capitole, Shéhérazade, et singulièrement Asie emportent moins loin, moins fiévreuses, moins exotiques. Et la poétesse Bilitis née de l’imagination de Pierre Louÿs semble un peu sage, moins frémissante de sensualité qu’espéré. Mais elles troublent insidieusement. Et le Tombeau des Naïades a son poids de mystère tragique. Et les deux Flûtes créent d’heureuses correspondances. Et les Duparc (Au pays où se fait la guerre déchirant, Chanson triste à souhait, mais qu’une ardeur soulève), et les Fauré (Reflets dans l’eau languides, Danseuse incantatoire) et les Verlaine de Debussy respirent, aériens, ductiles, souples, liquides. Leurs aveux s’épanchent, pudiques et profonds comme des confidences. Et les mots parviennent, clairs et distincts, au cœur, sans que de vous émane la moindre affectation, qui accordez aux textes, un rien désuets parfois, la tonalité juste. Et les liaisons, respectées à la lettre, deviennent subtiles sources de fluidité. Et l’air a l’air d’être un soupir d’automne, comme le chantent Verlaine, et Debussy et vous. Les tièdes ou les purs vous reprendront sur une consonne trop amortie, une voyelle trop ouverte. Laissons, laissons-les à leur coupable dissection. Nous prenons vos Secrets, composés avec une si délicate harmonie, comme un cadeau précieux, heureux de savoir désormais qu’à la scène comme au disque vous nous en réserverez beaucoup d’autres. Et pour ces émotions, passées, présentes et à venir, chère Marianne Crebassa, merci.
Jean Jordy
Écoutez des extraits:
Publié le 30/11/2017 à 20:29, mis à jour le 04/05/2020 à 16:02.