La Passion selon Saint Jean
Jean-Sébastien Bach
Jean Sébastien Bach, La Passion selon Saint Jean. Les Musiciens du Louvre, direction Marc Minkowski. 2 CD Erato, 110”42’.
Tendue et énergique, la version que propose Marc Minkowski de La Passion selon Saint Jean choisit la clarté, l’éloquence lyrique, la vivacité, la fluidité dans l’enchainement des dialogues et des parties.
L’œuvre fut créée le Vendredi Saint 7 avril 1724 dans l’église Saint Nicolas de Leipzig. Dramatique et d’une haute élévation spirituelle à la fois, elle impose un équilibre tenu entre deux exigences expressives: représentation de l’agonie de Jésus, elle doit aussi inciter à la piété, à la compassion et au recueillement. Récit douloureux et théâtre pathétique, elle exprime en même temps prière, quête et interrogation religieuses. La réussite de Marc Minkovski tient à la tension entre ces pôles. En témoigne d’emblée le chœur Herr, unser Herrscher qui accompagne douloureusement le Christ dans sa montée au Golgotha et scande une marche funèbre à la fois dramatisée et stylisée. De même, tout l’épisode de Pilate ( n°16, 18 et 21) se trouve emporté par une fièvre discursive qui en rend les épisodes pleins de vie et saisissants d’intensité. Le rôle des turbae (les différentes foules, de gardes, de prêtres, de juifs qui animent le récit, surtout dans la seconde partie) s’avère fortement théâtralisé par des chœurs à l’effectif certes limité (le groupe des solistes), mais engagés et tour à tour mordants, incisifs, colériques, impétueux, profondément mus par des passions humaines. Et les chorals qui explicitent pour le profane le sens des événements contés, loin de hacher ou de ralentir le discours, s’insèrent avec une ferveur vive qui n’exclut pas la tendresse (beaux n°17, 23 et 39) dans la continuité narrative et lui donnent force et cohérence. Les arias jouent sur un registre plus intime et offrent à l’auditeur des moments poignants par exemple dans le chant de l’alto (magnifique David Hansen) Von den Stricken meiner Sünden ( n°7) où les hautbois soulignent la pathétique reconnaissance de l’être humain devant la souffrance du supplicié enchainé. En parfait contraste, la soprano Ditte Andersen ravit avec la délicieuse aria ( n°9) où la flute fruitée chante la joie lumineuse. Le «Tout est accompli» Es ist vollbracht! ( n°30) de Delphine Galou, accompagnée avec une infinie tristesse par la viole de gambe de Julien Leonard est un modèle de chant profond, dont la douleur s’exprime avec une majesté grave que peine à démentir l’ardeur virtuose centrale.
Pièce maîtresse du dispositif, l’Evangéliste de Lothar Odinius conjugue implication dramatique, conviction intime, netteté de l’articulation, intelligence de l’évocation: cette voix riche d’harmoniques propose une série de tableaux dont elle souligne la force évènementielle et la profondeur symbolique. L’aria tourmentée Ach, mein Sinn ( n°13) qui lui est aussi confiée confirme le talent du ténor allemand. Ce qui frappe dans l’interprétation de Christian Immler en Jésus est l’équilibre si délicat entre noblesse et naturel. La voix est à la fois majestueuse et humaine, d’une projection remarquable, profondément émouvante par la justesse même de l’incarnation. Ajoutons que les deux voix majeures de l’Evangéliste et de Jésus se répondent ici à merveille. Même s’il faut associer le groupe des solistes dans le même éloge, on distinguera le Pilate puissant et le Pierre chaleureux de Yorck Felix Speer qui fait de son arioso Betrachte, meine Seel’ un moment de profonde méditation. Colin Balzer dans l’air de ténor ( n°20) orne avec grâce ces vers que ne renierait pas la poésie baroque. La soprano Lenneke Ruiten place sur les cimes Zerfließe, mein Herze ( n°35) que le hautbois rythme avec grâce. Le ténor Valerio Contaldo vainc les pièges d’un tempo vigoureux dans un des deux airs de substitution que Marc Minkowski inclut dans le CD. Une mention spéciale doit être attribuée aux Musiciens du Louvre, véritable acteur du drame, dont chaque pupitre sait donner à cette fresque méditative toutes les couleurs d’un arc en ciel d’émotions. Portée par un chef qui a longuement muri ses choix et des interprètes investis, cet enregistrement de la Passion selon Saint Jean qu’irrigue une vie puissante possède de remarquables atouts et génère des joies intenses, tant musicales que spirituelles.
Jean Jordy
Tendue et énergique, la version que propose Marc Minkowski de La Passion selon Saint Jean choisit la clarté, l’éloquence lyrique, la vivacité, la fluidité dans l’enchainement des dialogues et des parties.
L’œuvre fut créée le Vendredi Saint 7 avril 1724 dans l’église Saint Nicolas de Leipzig. Dramatique et d’une haute élévation spirituelle à la fois, elle impose un équilibre tenu entre deux exigences expressives: représentation de l’agonie de Jésus, elle doit aussi inciter à la piété, à la compassion et au recueillement. Récit douloureux et théâtre pathétique, elle exprime en même temps prière, quête et interrogation religieuses. La réussite de Marc Minkovski tient à la tension entre ces pôles. En témoigne d’emblée le chœur Herr, unser Herrscher qui accompagne douloureusement le Christ dans sa montée au Golgotha et scande une marche funèbre à la fois dramatisée et stylisée. De même, tout l’épisode de Pilate ( n°16, 18 et 21) se trouve emporté par une fièvre discursive qui en rend les épisodes pleins de vie et saisissants d’intensité. Le rôle des turbae (les différentes foules, de gardes, de prêtres, de juifs qui animent le récit, surtout dans la seconde partie) s’avère fortement théâtralisé par des chœurs à l’effectif certes limité (le groupe des solistes), mais engagés et tour à tour mordants, incisifs, colériques, impétueux, profondément mus par des passions humaines. Et les chorals qui explicitent pour le profane le sens des événements contés, loin de hacher ou de ralentir le discours, s’insèrent avec une ferveur vive qui n’exclut pas la tendresse (beaux n°17, 23 et 39) dans la continuité narrative et lui donnent force et cohérence. Les arias jouent sur un registre plus intime et offrent à l’auditeur des moments poignants par exemple dans le chant de l’alto (magnifique David Hansen) Von den Stricken meiner Sünden ( n°7) où les hautbois soulignent la pathétique reconnaissance de l’être humain devant la souffrance du supplicié enchainé. En parfait contraste, la soprano Ditte Andersen ravit avec la délicieuse aria ( n°9) où la flute fruitée chante la joie lumineuse. Le «Tout est accompli» Es ist vollbracht! ( n°30) de Delphine Galou, accompagnée avec une infinie tristesse par la viole de gambe de Julien Leonard est un modèle de chant profond, dont la douleur s’exprime avec une majesté grave que peine à démentir l’ardeur virtuose centrale.
Pièce maîtresse du dispositif, l’Evangéliste de Lothar Odinius conjugue implication dramatique, conviction intime, netteté de l’articulation, intelligence de l’évocation: cette voix riche d’harmoniques propose une série de tableaux dont elle souligne la force évènementielle et la profondeur symbolique. L’aria tourmentée Ach, mein Sinn ( n°13) qui lui est aussi confiée confirme le talent du ténor allemand. Ce qui frappe dans l’interprétation de Christian Immler en Jésus est l’équilibre si délicat entre noblesse et naturel. La voix est à la fois majestueuse et humaine, d’une projection remarquable, profondément émouvante par la justesse même de l’incarnation. Ajoutons que les deux voix majeures de l’Evangéliste et de Jésus se répondent ici à merveille. Même s’il faut associer le groupe des solistes dans le même éloge, on distinguera le Pilate puissant et le Pierre chaleureux de Yorck Felix Speer qui fait de son arioso Betrachte, meine Seel’ un moment de profonde méditation. Colin Balzer dans l’air de ténor ( n°20) orne avec grâce ces vers que ne renierait pas la poésie baroque. La soprano Lenneke Ruiten place sur les cimes Zerfließe, mein Herze ( n°35) que le hautbois rythme avec grâce. Le ténor Valerio Contaldo vainc les pièges d’un tempo vigoureux dans un des deux airs de substitution que Marc Minkowski inclut dans le CD. Une mention spéciale doit être attribuée aux Musiciens du Louvre, véritable acteur du drame, dont chaque pupitre sait donner à cette fresque méditative toutes les couleurs d’un arc en ciel d’émotions. Portée par un chef qui a longuement muri ses choix et des interprètes investis, cet enregistrement de la Passion selon Saint Jean qu’irrigue une vie puissante possède de remarquables atouts et génère des joies intenses, tant musicales que spirituelles.
Jean Jordy
Publié le 16/05/2017 à 22:01, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.