Manuel de Falla
L’Amour sorcier, Le Tricorne Suites
Orchestre national d’Île-de-France, Enrique Mazzola, Esperanza Fernandez, cantaora. CD NoMadMusic 52’32’’.
Peu de grands musiciens ont aussi peu composé que De Falla. Exigence d’un parcours artistique que l’on retrouve dans chacune des œuvres consenties à la postérité. Dépouillement, sobriété, austérité diraient certains contempteurs d’un art sévère, à l’opposé d’un baroque sentimental et extérieur. Mais charme cependant, feu pur, flamme dévorante, grandeur que tout interprète se doit de traduire avec le même rigoureux élan sans céder à l’histrionisme ou à la couleur locale. En enregistrant deux œuvres majeures, L’Amour sorcier et le Tricorne, toutes conçues comme musique de ballet, Enrique Mazzola et l’Orchestre national d’ïle-de-France confirment les qualités déjà manifestées dans un précédent album.
Pour L’Amour sorcier (1915), c’est la version de 1916, profondément remaniée par le compositeur qui est ici choisie, non avec mezzo soprano, mais avec cantaora, chanteuse de flamenco. La voix d’Esperanza Fernandez, spécialiste de ce répertoire et de cette œuvre, ne cherche pas à séduire, ni à émouvoir, mais à exprimer un «chant profond», le fameux cante jondo, qui vient de la gorge, du cœur, du ventre. Dans la «Chanson du chagrin d’amour», elle convoque en un aveu intime toutes les douleurs du monde. La même gravité imprègne l’interprétation des pages symphoniques. Sans jamais oublier le mouvement et les humeurs changeantes du ballet, Enrique Mazzola privilégie le versant sombre de l’œuvre, troublante et inquiétante. Que de fées penchées en 1919 sur le berceau du ballet Le Tricorne: Diaghilev, Massine, Picasso, Ansermet! Le chapeau tricorne du titre est celui du Gouverneur tout puissant, épris de la femme du Meunier, et dont les villageois célèbreront in fine la fin de règne despotique. L’enregistrement des deux suites révèle le raffinement d’une partition inspirée par le folklore, mais qui fuit l’exubérance pour aller vers l’essence même de la musique andalouse, ardente, dansante comme il se doit, bondissante mais tenue. La danse du Meunier (suite n°2), puisée aux sources du flamenco ou la Jota finale se révèlent à cet égard exemplaires.
S’affirment la force et la profondeur expressive de la musique du compositeur espagnol, de l’interprétation vocale, de celle de l’orchestre et de son chef unis dans une expérience musicale d’une pudique intensité.
Scorie ou témoignage? Les trois dernières minutes de la dernière plage donnent à entendre des bribes de répétition inattendues!
Jean Jordy
Peu de grands musiciens ont aussi peu composé que De Falla. Exigence d’un parcours artistique que l’on retrouve dans chacune des œuvres consenties à la postérité. Dépouillement, sobriété, austérité diraient certains contempteurs d’un art sévère, à l’opposé d’un baroque sentimental et extérieur. Mais charme cependant, feu pur, flamme dévorante, grandeur que tout interprète se doit de traduire avec le même rigoureux élan sans céder à l’histrionisme ou à la couleur locale. En enregistrant deux œuvres majeures, L’Amour sorcier et le Tricorne, toutes conçues comme musique de ballet, Enrique Mazzola et l’Orchestre national d’ïle-de-France confirment les qualités déjà manifestées dans un précédent album.
Pour L’Amour sorcier (1915), c’est la version de 1916, profondément remaniée par le compositeur qui est ici choisie, non avec mezzo soprano, mais avec cantaora, chanteuse de flamenco. La voix d’Esperanza Fernandez, spécialiste de ce répertoire et de cette œuvre, ne cherche pas à séduire, ni à émouvoir, mais à exprimer un «chant profond», le fameux cante jondo, qui vient de la gorge, du cœur, du ventre. Dans la «Chanson du chagrin d’amour», elle convoque en un aveu intime toutes les douleurs du monde. La même gravité imprègne l’interprétation des pages symphoniques. Sans jamais oublier le mouvement et les humeurs changeantes du ballet, Enrique Mazzola privilégie le versant sombre de l’œuvre, troublante et inquiétante. Que de fées penchées en 1919 sur le berceau du ballet Le Tricorne: Diaghilev, Massine, Picasso, Ansermet! Le chapeau tricorne du titre est celui du Gouverneur tout puissant, épris de la femme du Meunier, et dont les villageois célèbreront in fine la fin de règne despotique. L’enregistrement des deux suites révèle le raffinement d’une partition inspirée par le folklore, mais qui fuit l’exubérance pour aller vers l’essence même de la musique andalouse, ardente, dansante comme il se doit, bondissante mais tenue. La danse du Meunier (suite n°2), puisée aux sources du flamenco ou la Jota finale se révèlent à cet égard exemplaires.
S’affirment la force et la profondeur expressive de la musique du compositeur espagnol, de l’interprétation vocale, de celle de l’orchestre et de son chef unis dans une expérience musicale d’une pudique intensité.
Scorie ou témoignage? Les trois dernières minutes de la dernière plage donnent à entendre des bribes de répétition inattendues!
Jean Jordy
Publié le 21/03/2017 à 00:03, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.