Liszt ou la tentation de l’universalité

Thomas Monnet
Liszt ou la tentation de l’universalité; Thomas Monnet à l’orgue Cavaillé-Coll de Saint-Maurice-de-Bécon; CD Hortus, Collection Eoline, 2015, 72’05’’.

À l’image de Jean-Sébastien Bach qui, à côté de ses compositions originales, retravaillait les œuvres de ses contemporains, voire reprenait les siennes dans d’autres configurations musicales, Franz Liszt a un goût personnel pour le mélange des genres: s’appuyant sur des compositions qu’il admire, il les lie à d’autres formes d’expression culturelle, ainsi à la littérature ou à la peinture. C’est une sorte de vision globale qui vise à toucher toutes les dimensions de la sensibilité artistique, avec des messages susceptibles d’être reçus différemment, mais qui atteignent nécessairement. Liszt qui vit au temps des nationalismes exacerbés refuse ce qui perçoit comme une limite et voit dans la musique un langage universel qui permet de rapprocher des temps éloignés aussi bien que de devenir un partage pour des auditeurs très divers. C’est dans cette perspective qu’il convient d’écouter les quatre œuvres proposées ici, qui n’en sont rien moins que les quatre compositions majeures pour orgue de Liszt.
Tout d’abord, le célèbre Präludium und Fuge über das Thema Bach, qui évoque les Six fugues sur le nom de Bach de Schumann, en 1848 et la Fantaisie et fugue pour orgue sur B-A-C-H de Reger en 1900, est un véritable hommage au Cantor par l’éclat somptueux et riche de sa composition que Thomas Monnet propose dans une vision limpide et grandiose à la fois. C’est le même talent qu’il met au service de la Fantasie und Fuge über den Choral Ad nos, ad salutarem undam, s. 259, inspirée à Liszt par le Prophète de Meyerbeer. Le compositeur n’en réalisa pas moins de trois versions: pour piano seul, pour piano à quatre mains et pour orgue. Les trois mouvements sont d’un lyrisme extraordinaire illustrant à merveille le génie créatif de Franz Liszt au sommet d son art et de sa gloire.
Plus intimistes apparaissent les Variations sur Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen d’après Bach. De manière tragique, texte et musique expriment l’angoisse des chrétiens, leur difficulté de sortir du cycle du mal. Quand il écrit ces variations, Liszt est pourtant en passe de recevoir les Ordres mineurs, ce qui devrait sinon lui donner la joie au moins lui valoir une certaine sérénité. On en est loin, encore que le choral final, affirmant que ce que Dieu fait est bien fait ouvre la porte à l’espoir. Le jeu de l’organiste restitue très bien cette peine lancinante et douloureuse avant de conclure dans l’apaisement confiant.
Enfin, dans L’évocation de la chapelle Sixtine, Liszt entraîne l’auditeur vers la découverte des fresques avec en toile de fond musicale le Miserere d’Allegri transcrit de mémoire par Mozart qui souligne la peine infinie des hommes avant que l’Ave verum ouvre la porte douce de l’espoir. Que n’a-t-il été inspiré par le sublime Et incarnatus est qui aurait été une sorte d’apothéose.
Ce CD est d’une excellente facture et annoncé comme le début d’une collection, il augure bien de ce projet.

Danielle Anex-Cabanis
Publié le 07/02/2016 à 13:04, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.