Dichterliebe

Peter Schreier et Christoph Eschenbach
Robert Schumann (1810-1856), Dichterliebe, op. 48; CD Editions TELDEC; Peter SCHREIER, ténor; Christoph ESCHENBACH, piano

Heureuse initiative que cette réédition de l’une des plus belles pages du lied ici interprétée par deux artistes qui ont notamment en commun d’être également des chefs d’orchestre à la réputation internationale!
Dichterliebe (Les amours du poète) est un cycle de 16 lieder (mélodies pour voix seule et piano) que Robert Schumann a composé en 1840 sur des poèmes de Heinrich Heine (1797-1856) tirés des Lyrisches intermezzo, «Intermezzo lyrique» (1822-1823). L’année 1840, c’est l’année du mariage de notre compositeur avec la pianiste Clara Wieck, fille de Friedrich Wieck, professeur de Schumann, qui s’est farouchement et judiciairement opposé à cette union, séparant ainsi les amoureux pendant de longues années. Schumann épouse enfin sa bien-aimée, après cinq ans d’un interminable procès. Année féconde, Schumann, qui avait jusqu’alors composé presque exclusivement pour le piano, se consacre à la mélodie, composant en une année 138 de ses 248 lieder. Ces lieder, dédiés à Clara, expriment ici le sentiment amoureux mais aussi tous ces malheurs que notre compositeur a dû affronter, particulièrement l’attente de la belle Clara.
Peter Schreier, ténor à la voix très claire, nous offre ici une très belle interprétation de ce cycle de Schumann. Comme certains critiques ont pu l’écrire, le timbre très particulier de sa voix n’est sans doute pas le plus phonogénique de sa génération. Toutefois, peu nombreux sont les interprètes disposant d’une voix aussi souple, d’une totale expressivité, sachant merveilleusement l’infléchir aux exigences de la musique et du texte. C’est propre, clair, pur, d’une immense musicalité et la diction est évidemment parfaite. L’auditeur entend la voix qui retrace ainsi les bonheurs et les malheurs du poète et l’émotion qu’elle dégage vous donne l’idée du sentiment qu’expriment musique et texte. Vous l’aurez compris, avec Peter Schreier, amour ne rime pas avec tambour!
Cette très belle interprétation est magistralement relayée par le piano de Christoph ESCHENBACH (qui a notamment accompagné Dietrich Fischer-Dieskau, maître incontesté du lied, dans ce cycle). Entre nos deux artistes, l’accord est parfait, tous deux animés par une grande fidélité à la partition de Schumann, accents, phrasés, silences… C’est particulièrement remarquable dès le premier lied ( «Im wunderschönen Monat Mai», «au merveilleux mois de mai» ) où voix et piano ont tous les deux un rôle mélodique, cette écriture en double mettant en exergue cette belle connivence. Cette interprétation permet de comprendre très vite que le lied schumanien n’est en rien une mélodie simplement accompagnée, mais davantage un chant à deux voix, parfaitement égales.
Cet enregistrement reprend également le lied en trois parties, «Der arme Peter» ( «Le pauvre Pierre»), qui raconte le désespoir d’un amoureux malheureux qui assiste aux noces joyeuses de sa belle avec un autre: «Aussi, la tombe est-elle pour lui la meilleure place où il puisse reposer et dormir jusqu’au jour du jugement dernier».
Cet album s’achève avec le très beau cycle de Schumann, liederkreis, op. 24, composé à partir de poèmes de Heine tirés, non de l’intermezzo précité plus tardif, mais de la première section du Buch der lieder (Livre de chants), Junge Leiden (Souffrances de jeunesse). On retrouve dans ce cycle de neuf lieder les thèmes de l’amour, de la belle toujours attendue, de la souffrance et du chagrin sur une écriture musicale qui, comme pour Diechterliebe, mélange délicieusement les genres, lieder tempétueux ou lyriques ou, tout au contraire, très légers.
Finalement, cette très belle interprétation, sans égaler celle de Dietrich Fischer-Dieskau ou de Hermann Prey, a toutefois ce quelque chose de plus qui lui fait mériter une place de choix dans votre discothèque.

Christophe Bernard
Publié le 16/07/2015 à 18:40, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.