Théâtre du Capitole
> 22 novembre
Don Giovanni
Wolfgang Amadeus Mozart
Photographies par Mirco Magliocca
L’excitation est grande au moment de rejoindre sa place pour découvrir cette nouvelle production de Don Giovanni portée par le Capitole et quatre autres scènes nationales. On est cependant un peu interloqué de recevoir un programme avec, en couverture, un sombre portrait d’homme du très mystique Greco. Quel rapport avec notre opéra?
Créée en octobre 1787 à Prague, suite au grand succès des Noces de Figaro, cet ouvrage marquait une nouvelle étape dans la collaboration entre Mozart et le librettiste Da Ponte. La figure mythique du Don Juan espagnol apparut dans la première moitié du XVIIe siècle et fut portée au théâtre dans une perspective théologique. Il s’agissait d’édifier le public en évoquant le destin effroyable qui attend un pêcheur impénitent. Elle eut un grand succès en Espagne, franchit les frontières et inspira Molière avant de rejoindre l’Italie. Mais le contexte n’était plus du tout le même à Vienne et à Prague en cette fin du XVIIIe siècle. On était passé de la Contre-Réforme catholique aux Lumières, de la culture espagnole à l’italienne puis à la germanique, de la théologie à la farce et au drame pré-romantique.
Le très jeune chef Riccardo Bisatti rejoint le pupitre, lui qui a dû prendre le relais de Tarmo Peltokoski dans des conditions un peu acrobatiques, et l’ouverture se déploie. Le choix d’une interprétation lisse, soyeuse, se manifeste immédiatement. On est plus dans le registre de la musique de chambre que de l’opéra. Certes l’orchestre et les chœurs tiennent parfaitement leur place mais il fut manifestement décidé d’en réduire l’éclat. Le chef restera en retrait pendant tout l’opéra, privilégiant l’intime et la retenue.
Le choix esthétique est aussitôt confirmé par un décor sombre fait de façades de briques et de bois évoquant une architecture méridionale qui clôt toujours le plateau. La lumière elle-même est tamisée. Nous restons en permanence dans la pénombre, sauf pour la fin de chaque acte.
Agnès Joui, actrice, chanteuse, cinéaste, présidente de la Cinémathèque de Toulouse, a déjà proposé les mises en scène d’une Tosca et de L’Uomo femina de Galuppi. La relation des réalisateurs à Don Giovanni est ancienne. Il fut l’objet d’une version filmique avec Joseph Losey (1979) et Michael Haneke en proposa une mise en scène 2006. Quel regard une réalisatrice allait-elle porter sur cette œuvre?
Point notable, elle n’a pas les foucades d’un Christophe Honoré montant Cosi à Aix en 2017 et elle ne cherche pas à choquer. Le décor d’Eric Ruf donc est sobre, les costumes sont très soignés, dans l’esprit XVIIe siècle, sans chatoiement de couleur vives, on reste dans le mineur.
Nous n’avons pas affaire ici à une lecture sociale, politique ou religieuse mais psychologique, sans tapage, proche des acteurs, faisant apparaître leurs contradictions, leurs folies aussi. Tout est fait pour focaliser l’attention du spectateur sur la psychologie intérieure.
Cela suppose une distribution impeccable pour porter ce "drama giocoso" sur les deux plans en jeu: celui de la course à l’abîme d’un Don Juan pris par une voracité frénétique et nihiliste, -au total indifférent au sort de ses victimes et contemporains-, et le mouvement maïeutique par lequel chacun des protagonistes se révèle à son contact.
Le rôle-titre est porté avec aisance par Nicolas Courjal, en figure méphistophélique. L’appétit sexuel paraît son premier moteur. La voix est assurée et convaincante sans vraiment créer d’émotion. Le jeu est précis et met en évidence que ce libertin impénitent, usé par sa course, ne se soucie pas de morale mais de plaisir.
Le Leporello de Vicenzo Taormina est malheureusement décevant, l’alter ego de Don Juan, qui maintient la caractère "buffa" de l’opéra, n’a pas ici la force suffisante. La voix est souple mais manque de caractère, elle n’exprime pas vraiment le contraste entre le maître et le serviteur. Il nous manque alors un ressort important de ce drame. Est-ce que le parti pris d’Agnès Jaoui de réduire la dimension provocatrice, son traditionnel cabotinage même, ne l’a pas étouffé?
Le souci du traitement psychologique des tourments des autres acteurs est en revanche mieux servi par Karine Deshaye en Donna Elvira et Andreea Soare en Donna Anna. Karine Deshaye apporte une réelle intensité à l’expression de la passion désordonnée qui l’emporte. Et dans le sextuor de la fin du premier acte on entend comment elle domine la distribution. Cependant elle ne nous bouleverse pas pour autant. La figure de Donna Anna, femme violée, bafouée, trahie, exige une capacité d’expression de la violence que ne montre pas la soprane franco-roumaine.
En revanche Don Ottavio, lâche et velléitaire, est si bien interprété par Dovlet Nurgeldiyev qu’il prend une place inattendue sur le plateau. La voix du ténor, puissante et souple, est capable de rendre compte de toutes les nuances mozartiennes.
Qualités que n’ont pas un Masetto assez fade et une Zerlina sans consistance. Adrien Mathonat manque de corps, d’étoffe, pour incarner ce jeune paysan simple mais capable de rébellion. Tandis qu’Anaïs Constans n’a ni la voix, ni l’énergie ou le sens de la comédie pour donner à Zerlina sa juste place. Elle minaude mais ne réussit pas à exprimer l’évolution de cette jeune femme non stupide, de la faiblesse complaisante face à la séduction flatteuse de Don Giovanni à un rejet farouche du suborneur.
Le Commandeur dont les deux apparitions posent l’arc dramatique du récit est remarquablement interprété par Adrien Mathonat, basse d’un hiératisme souverain. Notons que la dernière scène et l’escamotage de Don Giovanni sont bien menés. Le fait de ne pas avoir coupé le Final, comme les défenseurs de la morale l’avaient obtenu à Vienne en 1788, permet aussi de finir en beauté avec " Questo è il fin".
On aura compris que la distribution est assez homogène mais qu’elle n’a pas satisfait notre attente. Peut-être aussi cette mise en scène manque-t-elle de rythme, de souffle. L’analyse psychologique pourquoi pas? mais Don Giovanni ce n’est pas Cris et chuchotements.
Cette production a disposé de moyens importants mais elle a été desservie par une interprétation trop romantique, trop psychologique et feutrée de l’œuvre de Mozart.
Les meilleurs moments, finalement, sont ceux où la lumière apparaît et l’action prend le dessus. Il fallut la contrainte de la mise en scène de deux fêtes, le mariage de Masetto et de Zerlina puis le "festin de pierre", pour que enfin les chanteurs pussent se libérer et nous entrainer un moment dans un tourbillon mozartien.
Alexandre Pajon
Créée en octobre 1787 à Prague, suite au grand succès des Noces de Figaro, cet ouvrage marquait une nouvelle étape dans la collaboration entre Mozart et le librettiste Da Ponte. La figure mythique du Don Juan espagnol apparut dans la première moitié du XVIIe siècle et fut portée au théâtre dans une perspective théologique. Il s’agissait d’édifier le public en évoquant le destin effroyable qui attend un pêcheur impénitent. Elle eut un grand succès en Espagne, franchit les frontières et inspira Molière avant de rejoindre l’Italie. Mais le contexte n’était plus du tout le même à Vienne et à Prague en cette fin du XVIIIe siècle. On était passé de la Contre-Réforme catholique aux Lumières, de la culture espagnole à l’italienne puis à la germanique, de la théologie à la farce et au drame pré-romantique.
Le très jeune chef Riccardo Bisatti rejoint le pupitre, lui qui a dû prendre le relais de Tarmo Peltokoski dans des conditions un peu acrobatiques, et l’ouverture se déploie. Le choix d’une interprétation lisse, soyeuse, se manifeste immédiatement. On est plus dans le registre de la musique de chambre que de l’opéra. Certes l’orchestre et les chœurs tiennent parfaitement leur place mais il fut manifestement décidé d’en réduire l’éclat. Le chef restera en retrait pendant tout l’opéra, privilégiant l’intime et la retenue.
Le choix esthétique est aussitôt confirmé par un décor sombre fait de façades de briques et de bois évoquant une architecture méridionale qui clôt toujours le plateau. La lumière elle-même est tamisée. Nous restons en permanence dans la pénombre, sauf pour la fin de chaque acte.
Agnès Joui, actrice, chanteuse, cinéaste, présidente de la Cinémathèque de Toulouse, a déjà proposé les mises en scène d’une Tosca et de L’Uomo femina de Galuppi. La relation des réalisateurs à Don Giovanni est ancienne. Il fut l’objet d’une version filmique avec Joseph Losey (1979) et Michael Haneke en proposa une mise en scène 2006. Quel regard une réalisatrice allait-elle porter sur cette œuvre?
Point notable, elle n’a pas les foucades d’un Christophe Honoré montant Cosi à Aix en 2017 et elle ne cherche pas à choquer. Le décor d’Eric Ruf donc est sobre, les costumes sont très soignés, dans l’esprit XVIIe siècle, sans chatoiement de couleur vives, on reste dans le mineur.
Nous n’avons pas affaire ici à une lecture sociale, politique ou religieuse mais psychologique, sans tapage, proche des acteurs, faisant apparaître leurs contradictions, leurs folies aussi. Tout est fait pour focaliser l’attention du spectateur sur la psychologie intérieure.
Cela suppose une distribution impeccable pour porter ce "drama giocoso" sur les deux plans en jeu: celui de la course à l’abîme d’un Don Juan pris par une voracité frénétique et nihiliste, -au total indifférent au sort de ses victimes et contemporains-, et le mouvement maïeutique par lequel chacun des protagonistes se révèle à son contact.
Le rôle-titre est porté avec aisance par Nicolas Courjal, en figure méphistophélique. L’appétit sexuel paraît son premier moteur. La voix est assurée et convaincante sans vraiment créer d’émotion. Le jeu est précis et met en évidence que ce libertin impénitent, usé par sa course, ne se soucie pas de morale mais de plaisir.
Le Leporello de Vicenzo Taormina est malheureusement décevant, l’alter ego de Don Juan, qui maintient la caractère "buffa" de l’opéra, n’a pas ici la force suffisante. La voix est souple mais manque de caractère, elle n’exprime pas vraiment le contraste entre le maître et le serviteur. Il nous manque alors un ressort important de ce drame. Est-ce que le parti pris d’Agnès Jaoui de réduire la dimension provocatrice, son traditionnel cabotinage même, ne l’a pas étouffé?
Le souci du traitement psychologique des tourments des autres acteurs est en revanche mieux servi par Karine Deshaye en Donna Elvira et Andreea Soare en Donna Anna. Karine Deshaye apporte une réelle intensité à l’expression de la passion désordonnée qui l’emporte. Et dans le sextuor de la fin du premier acte on entend comment elle domine la distribution. Cependant elle ne nous bouleverse pas pour autant. La figure de Donna Anna, femme violée, bafouée, trahie, exige une capacité d’expression de la violence que ne montre pas la soprane franco-roumaine.
En revanche Don Ottavio, lâche et velléitaire, est si bien interprété par Dovlet Nurgeldiyev qu’il prend une place inattendue sur le plateau. La voix du ténor, puissante et souple, est capable de rendre compte de toutes les nuances mozartiennes.
Qualités que n’ont pas un Masetto assez fade et une Zerlina sans consistance. Adrien Mathonat manque de corps, d’étoffe, pour incarner ce jeune paysan simple mais capable de rébellion. Tandis qu’Anaïs Constans n’a ni la voix, ni l’énergie ou le sens de la comédie pour donner à Zerlina sa juste place. Elle minaude mais ne réussit pas à exprimer l’évolution de cette jeune femme non stupide, de la faiblesse complaisante face à la séduction flatteuse de Don Giovanni à un rejet farouche du suborneur.
Le Commandeur dont les deux apparitions posent l’arc dramatique du récit est remarquablement interprété par Adrien Mathonat, basse d’un hiératisme souverain. Notons que la dernière scène et l’escamotage de Don Giovanni sont bien menés. Le fait de ne pas avoir coupé le Final, comme les défenseurs de la morale l’avaient obtenu à Vienne en 1788, permet aussi de finir en beauté avec " Questo è il fin".
On aura compris que la distribution est assez homogène mais qu’elle n’a pas satisfait notre attente. Peut-être aussi cette mise en scène manque-t-elle de rythme, de souffle. L’analyse psychologique pourquoi pas? mais Don Giovanni ce n’est pas Cris et chuchotements.
Cette production a disposé de moyens importants mais elle a été desservie par une interprétation trop romantique, trop psychologique et feutrée de l’œuvre de Mozart.
Les meilleurs moments, finalement, sont ceux où la lumière apparaît et l’action prend le dessus. Il fallut la contrainte de la mise en scène de deux fêtes, le mariage de Masetto et de Zerlina puis le "festin de pierre", pour que enfin les chanteurs pussent se libérer et nous entrainer un moment dans un tourbillon mozartien.
Alexandre Pajon
Publié le 09/12/2025 à 12:55, mis à jour le 09/12/2025 à 13:00.