Théâtre du Capitole
> 26 septembre et 2 octobre

Un somptueux début de saison

Photographies par Marco Maglioca
Le théâtre du Capitole a gâté son public pour commencer la saison 2025-2026. La première de Thaïs de Massenet, le 26 septembre, est superbe. Une très belle distribution, des décors magnifiques et une mise en scène intéressante sur laquelle les avis peuvent diverger, comme l’attestent les critiques parues après le spectacle. Stefano Poda a mis en scène Thaïs pour l’opéra de Turin en 2008, assurant également les éclairages et les costumes, ce qui garantit une incontestable cohérence autour d’une vision globale, avec le risque que certains n’entrent pas dans l’univers proposé, ils sont rares au terme de l’ensemble des représentations.
Le metteur en scène adore les symboles, aime surprendre voire provoquer, ce qui est parfois un peu convenu. Un Christ bodybuildé qui descend de sa croix, des danseurs et figurants plus ou moins dénudés, représentent le monde de la luxure mais on peut y voir aussi une figuration de l’enfer, dans une perspective à la Jérôme Bosch. Le décor aussi se veut plein de sens. Somptueux, monumental, il évoque la puissance, la richesse, puis, sans être totalement changé, il est allégé avec la marche vers le salut de Thaïs. Certains le trouvent lourd, d’autres , j’en fais partie, se laissent convaincre.
Tiré d’un roman d’Anatole France, l’opéra repose sur un livret parfois un peu saint sulpicien, comme le voulait l’époque, mais réserve des temps forts que les chanteurs et l’ensemble des musiciens savent restituer avec bonheur , et pas seulement la célèbre Méditation du violon solo de l’orchestre, Chiu-Jan Ying, appelée sur scène aux saluts. Une histoire, tirée pour partie de l’Histoire: Thaïs, une courtisane d’Alexandrie, est prise à partie par un moine cénobite, Athanaël, qui s’est mis en tête de l’arracher à sa vie de débauche pour l’amener à Dieu. Il la retrouve chez son amant Nicias, qui est aussi son ami. Finalement, elle se rend compte qu’elle vieillit et veut changer de vie. Athanaël l’emmène dans un monastère qu’elle atteint après une marche pénible et gagne son salut, tandis que le moine se rend compte que dans sa démarche il y a en fait un désir charnel et il est rongé autant par ses pulsions que par l’impossibilité de les satisfaire. Le rôle-titre est très exigent, avec des airs acrobatiques mais aussi d’autres chargés aussi bien d’érotisme que d’émotion. Rachel Willis-Sørensen met tout son talent au service de cette héroïne complexe. Elle interprète Thaïs avec passion et justesse: elle est la débauchée, elle devient la moniale repentie. Elle domine littéralement la scène. Elle est en outre une excellente actrice, assurant une présence sur scène exceptionnelle. En face d’elle, Tassis Christoyannis est très à l’aise dans le rôle d’Athanaël, encore qu’au premier acte, sa voix manque un peu de puissance, ce qui se corrige parfaitement ensuite, avec un rétablissement d’équilibre entre sa partenaire et lui. Si les autres rôles sont moins importants, la direction les a choisis avec un soin extrême, ce qui assure de superbes performances, avec une mention toute particulière pour Jean-François Borras, que les Toulousains connaissent bien, un Nicias à la fois insolent et plus profond. Son interprétation est d’une vérité très convaincante. Ne déméritent pas non plus Frédéric Caton, Albine (la religieuse qui recueillera Thaïs) la douce mezzo Svetlana Lifar, Marie-Eve Munger aux aigus étourdissants…
Dans un registre totalement différent, le Capitole propose le 2 octobre l’oratorio de Georges Frédéric Haendel, Theodora. A Antioche, le préfet Valens ordonne à tous de sacrifier à Vénus, ceux qui refusent seront condamnés à mort. Didyme, un officier secrètement converti, s’en indigne sans succès au point que son ami Septimius l’incite à l’obéissance. Theodora et son amie Irène, toutes deux chrétiennes, affirment leur foi et Theodora refuse d’abjurer, elle est arrêtée et doit être livrée à la prostitution. Convainquant Septimius de l’aider, Didyme parvient à faire échapper Theodora qui a pris ses vêtements. Lorsque la supercherie est découverte, Valens est fou de rage et le condamne à mort. Theodora l’apprend revient et offre sa vie contre celle de son ami, qui refuse. Finalement, ils marchent ensemble à la mort, tandis que les chrétiens chantent leur foi et leur courage.
Haendel était un homme de foi, son séjour en Italie lui avait donné le goût d’une musique ornementée, pour mettre en valeur la voix, qu’il s’agisse des solistes ou des chœurs, le plus souvent en petits effectifs, ce que l’on oublie lors d’exécutions spectaculaires du Messie, à l’instar de ce qui se fait aussi occasionnellement pour les Passions de Jean-Sébastien Bach, ce qui l’aurait sans doute étonné, sans qu’il n’y adhère pas. Dans Theodora, Haendel offre des partitions remarquables aux différents protagonistes du drame qui se noue devant nous. Thomas Dunford à la tête du chœur et de l’orchestre de son ensemble Jupiter, quasiment sans mise en espace, parvient à suggérer l’espace du drame vécu par les personnages. Ils incarnent cette extraordinaire dualité de sentiments naturels combinés avec une foi si intense qu’ils affrontent la mort avec un bonheur serein.
La distribution est exceptionnelle avec une Lea Desambre en Theodora. Elle est au sommet de son art, on l’a tous en mémoire en délicieux Chérubin, dans la version des Noces de Pichon, aux côtés de Sabine Devieilhe, piquante Suzanne.
Elle ne se contente pas de chanter, elle est une Theodora bouleversante et entraîne ses partenaires, eux aussi très talentueux, vers des sommets. Alex Rosen est un Valens, sûr de lui, plein de morgue et de cruauté, alors que Septimius, tiraillé entre son devoir d’obéissance et son amitié pour Didyme, est incarné avec beaucoup de finesse par Laurence Kilsby. La douce et fidèle Irène s’exprime avec toute la subtilité d’Avery Amereau. Le contre-ténor Hugh Cutting incarne un Didyme tout en nuances. Tous ont des voix qu’Haendel aurait aimées si l’on se rapporte aux créateurs des rôles et les commentaires qu’ils ont suscités. Le compositeur avait une exigence d’excellence que ses moyens lui permettaient de satisfaire. Il avait les meilleurs, son Didyme, sera quelques années plus tard l’Orphée de Gluck.

Danielle Anex-Cabanis
Publié le 14/10/2025 à 18:04, mis à jour le 14/10/2025 à 18:08.