Carlos Païta

Brahms et Beethoven
2 CD Le Palais des dégustateurs

Après des œuvres symphoniques de Moussorgski et Berlioz, de Tchaïkovski, de Chostakovitch et Bruckner ici dûment chroniquées, voici Brahms et Beethoven mis à l’honneur par des reprises d’enregistrements du maître Carlos Païta (1932-2015) . On peut relire pour qualifier l’approche du chef argentin, l’analyse de Michel Pertile: «Il contrôle la situation et ne laisse pas l’orchestre s’emballer dans les déferlements sonores, tout reste maîtrisé». Ou celle de Danielle Anex-Cabanis: «Fasciné manifestement par cette richesse et cette diversité le chef met en œuvre une palette de sonorités graves et joyeuses». Il y a en effet dans ces interprétations une effervescence sonore, une jouissance de la musique, un déferlement dynamique des rythmes et des émotions qui saisissent l’auditeur, parfois bousculé ou happé par la profusion et la puissance des formations placées sous l’irrésistible direction de Carlos Païta. Qu’on entende l’Allegro non troppo ma con brio qui conclut la Symphonie de Brahms! Volcanique. Brahms n’a écrit que quatre concertos, dont celui pour violon qui célèbre la profonde amitié qui le liait au virtuose et créateur de l’œuvre Joseph Joachim. Intensément lyrique, flamboyant, lumineux malgré de nécessaires traversées d’ombres, il a toute la force, le mouvement festif qui devait séduire Carlos Païta. Le chef n’est-il pas tout compte fait celui qui célèbre en toute ferveur la musique, ses tournoiements, sa tension libératrice, et la recherche inlassable de fusion entre le compositeur et l’interprète, entre l’interprète et l’auditeur? Lors de cet enregistrement (1985), inédit en CD, le soliste est la violoniste Ayla Erduran (1934-2025) décédée il y a quelques mois et qui se révèle ici d’une fraîcheur et d’une énergie impressionnantes. Les deux symphonies de Beethoven au cœur de l’album, d’abord la Septième, puis la Cinquième, ne se veulent nullement de référence: elles n’ont pas l’intention d’être gravées dans le marbre, matériau qui est la négation même de Païta. A la tête d’un efficace et souvent profus Philharmonic Symphony Orchestra, saisi par deux fois à Londres, le «director» fait feu de tout bois, mais sans jamais lâcher les brides, lançant l’immense machine de sa formation, mais en la guidant d’une main plus que sûre, magistrale. Pour s’en convaincre, qu’on écoute comment il domine la construction et l’élan du première mouvement de la 7, poco sostenuto vivace, qui s’insinue, enfle, gonfle, s’élève, se répand, se calme, reprend sa marche insistante, jamais lasse, toujours tonique, déterminée, laissant in fine l’auditeur plus essoufflé sans doute que le chef. Quant à la Cinquième, Païta fait ici du combat que livre Beethoven une épopée dont le compositeur sort vainqueur, grandi, plus fort, à l’humanité plus aguerrie, délivrée des bassesses, ouverte à la générosité, à la fraternité universelle.
Nul ne peut rester indifférent à ce que construit, et quelles soient les œuvres, Carlos Paîta: c’est, incessamment renouvelée, une geste où triomphent toujours l’humanisme et la foi en l’art.

Jean Jordy
Publié le 23/09/2025 à 18:31, mis à jour le 23/09/2025 à 18:32.