Halle aux Grains
> 18 mars

Khatia Buniastishvili

Les grands interprètes
Photographie par Esther Haase
Dans une Halle aux Grains pleine à craquer, la pianiste franco-géorgienne Khatia Buniatishvili a proposé un récital hors normes, c’est d’ailleurs un peu sa marque, en imposant ses règles. Elle a choisi de jouer sans entracte, ce qui, compte tenu de la lourdeur du programme est en soi une prouesse qu’elle réalise sans peine apparente et ce n’est pas faute d’investissement dans chacune des notes jouées, ce qui séduit manifestement le public qui l’applaudit longuement. Elle propose deux bis, qui eux aussi, mettent en valeur la diversité et la richesse de son talent. D’abord la transcription de Bach pour le clavier de l’Adagio du concerto pour hautbois de Benedetto Marcello suivi de la Rhapsodie hongroise 6, de Franz Liszt qu’elle interprète avec une énergie passionnée.
Elle vit intensément les œuvres auxquelles elle donne une note force qui lui est propre. L’enchaînement des œuvres peut surprendre, mais en même temps il traduit sa volonté de tisser un lien personnel entre les époques, les œuvres et le public. Virtuose exceptionnelle, adepte des tempi les plus vertigineux, elle donne le sentiment de littéralement mettre au monde passion et fascination ressentie qu’elle veut partager dans un foisonnement sonore impressionnant. C’est spectaculaire et le public est sous le charme. Personnellement, je préfère les Impromptus de Schubert plus intimistes, tels que les ressentaient Wilhelm Kempff ou Alfred Brendel. Les déferlements sonores de la sonate de Chopin, dont tout le monde connaît la Marche Funèbre lui permettent de montrer l’éclectisme de ses choix tout en offrant une puissance impressionnante à ce morceau de bravoure. Le Lento de la Marche funèbre est exceptionnel dans son intensité tragique… La dite «facile» sonate de Mozart, qui ne l’est pas, est un temps d’apaisement relatif malgré le tempo étourdissant de la pianiste dans l’Allegro initial, tandis qu’elle a une approche quasiment tendre de l’Andante qui se poursuit dans le Rondo final, chargé d’une sorte d’intensité spirituelle. L’interprète passe ensuite à la Ballade 4 en fa mineur de Chopin qu’elle transcende dans une sorte de fougue passionnée que l’on retrouve dans la dernière pièce de son programme, la Mephisto Valse 1 de Frantz Liszt, un festival de virtuosité dans lequel l’artiste est totalement investie. On la sent porteuse de l’émotion qu’elle veut transmettre dans un exceptionnel don de soi. On peut préférer d’autres approches, mais on doit reconnaître à Khatia Buniatishvili une générosité de partage qui force l’admiration. Une très grande artiste qui irradie littéralement.

Danielle Anex-Cabanis
Publié le 01/04/2025 à 17:05, mis à jour le 01/04/2025 à 17:07.