Coups de roulis

André Messager
André Messager. Coups de roulis, opérette en trois actes. Enregistrement public au Théâtre de l’Athénée - Louis Jouvet, le 17 mars 2023. La compagnie Les Frivolités parisiennes. Direction musicale Alexandra Cravero. CD b-records.

Le 29 septembre 1938, le Théâtre Marigny accueille la création de l’opérette d’André Messager, Coups de roulis, sur un livret de Willemetz et Larrouy. Le récit qui mêle les houles et les roulis des cœurs, les rivalités amoureuses, les séductions exotiques, les faux pas opportuns, a un intérêt limité. Mais qu’il est bon d’oublier l’air ambiant et l’automne gris en suivant les aventures de nos officiers de marine et d’un politique en goguette sur la musique légère et pétillante du compositeur de Véronique, Passionnément, Pas sur la bouche ou Fortunio. D’autant que la production récente à l’Athénée par les si bien nommées «Frivolités parisiennes» allie charme et vivacité.
L’air des lettres chanté tour à tour par trois petits gradés dans l’attente de permissions bien méritées après plusieurs mois en mer donne le ton d’emblée, une touche de simplicité, une rasade d’humour, l’élégance de la musique, un zeste d’ironie. Le Coup de roulis peut commencer… par une annulation de la délivrance espérée. Un Haut-commissaire, rôle créé par Raimu, vient en mission d’inspection sur le navire de guerre, secondé par son secrétaire, la charmant Béatrice, fille de l’incompétent député. «Un Haut-commissaire / C’est un monsieur qui serre / Qui serre, qui serre». «Qui sert à rien», répliquent les marins. Le ton est donné. L’enregistrement a fait le choix que l’on peut discuter de supprimer les dialogues et de confier le récit à une narratrice fine comédienne qui noue entre elles les péripéties. L’écoute musicale est nécessairement hachée, mais y-a-t-il une bonne solution pour restituer au disque la drôlerie et le punch de la représentation? Ne demeurent que les airs, plus de quarante, ensembles, duos, couplets souvent guillerets, qu’accompagne un orchestre vif et brillant sous la direction jubilatoire d’une Alexandra Cravero dynamique. Ainsi, passage obligé, la valse au Caire frémit, les romances des deux amants rivaux séduisent, et on sourit aux couplets chaloupés de «Quand on a les femmes». Quant au final de l’acte II «A Louqsor», il rappelle avec délices le «Pars pour la Crète» d’Offenbach. C’est une opérette. On sait – quoiqu’on l’oublie trop souvent – que ce genre musical requiert des talents complets, des acteurs subtils qui soient des chanteurs de bon niveau, et un art du dire en voie de disparition. Félicitons les Frivolités parisiennes de maintenir cette triple exigence qui rend l’écoute de cet enregistrement public plaisante et sémillante. Le vieux maitre excelle à trousser des mélodies et à varier les rythmes. Nul ne peut imaginer que c’est là la dernière œuvre d’un compositeur âgé de 75 ans! Mais en musique dite légère, on n’est pas tenu de suivre le célèbre refrain: «En amour, il n’est pas de grade, /L’important/ C’est d’avoir vingt ans». Ce Coup de roulis sans vague à l’âme et sans tangage est une cure de jouvence revigorante.

Jean Jordy

Publié le 18/12/2024 à 00:30, mis à jour le 08/01/2025 à 08:22.