François-Xavier Poizat, piano

L'œuvre complète avec piano de Ravel
Coffret de 6 CD Aparté.

Afin de célébrer en 2025, le 150e anniversaire de la naissance de Maurice Ravel, le pianiste François-Xavier Poizat a réalisé un travail titanesque: enregistrer toutes les œuvres éditées avec piano du Maître (à l’exception du menuet en ut # mineur pourtant inédit). En résulte un coffret magnifique de 6 CD savamment organisés par thème, chacun portant un titre évocateur et poétique (malheureusement en anglais)
- Naissance européenne et vues transatlantiques (avec orchestre dont les 2 concertos)
- Miniatures et raretés, la naissance d’un génie ( piano solo et 4 mains)
- Textes littéraires et inspirations de la France d’antan (toujours piano solo et 4 mains)
- Cordes d’est en ouest ( musique de chambre dont Tzigane)
- Voix d’hommes (chant, piano, flûte et violoncelle)
- Voix des anges (chant, piano, clarinettes, flûtes et le Quatuor Voce)
L’amour, le respect et l’admiration du pianiste envers le compositeur sont réellement palpables à travers cet enregistrement historique et ce vibrant hommage.
Le premier disque débute avec le Concerto pour la main gauche, une version exceptionnelle, sombre à souhait. Le piano éloquent et le Philharmonia Orchestra dirigé par la cheffe Simone Menezes avec une rare précision et une grande subtilité nous bouleversent. Après une Valse parfaitement "tragi-comique" ici livrée dans l’arrangement pour piano solo, très virtuose d’Alexander Ghindin, le pianiste nous livre une version très juste du Concerto en sol sans mièvrerie et cependant très émouvante. La dernière plage annonce un bonus: improvisation sur "The lamp is slow" d’après la Pavane pour une infante défunte, bonus inexistant sur mon CD?
Dans le 2e disque, nous retiendrons la "Sonatine" pour sa rigueur et sa variété de couleurs insoupçonnées ainsi que les sublimes "Miroirs"" dont la redoutable et ici brillantissime "Alborada del gracioso". Beaucoup de charme pour les miniatures comme le prélude en la mineur.
Le 3e disque nous réserve une belle surprise avec une version mémorable du "Gaspard de la nuit ": Ondine multicolore, Gibet obsédant et Scarbo remarquablement diabolique! Un très pur "Tombeau de Couperin" avec juste une réserve sur la pédale forte soutenue dans le Prélude. Ici les délicieuses Valses si "nobles et sentimentales"!
Enfin nous abordons le répertoire de musique de chambre dans un 4e disque tout aussi passionnant.
François-Xavier Poizat réalise un tour de magie pour passer du rôle de soliste à celui d’accompagnateur, un accompagnateur exemplaire. Son piano est l’écrin idéal pour tout soliste: bien présent mais discret, attentif et perspicace. Avec le violon de Michael Foyle, ils nous livreront une version puissante de la Sonate 2 en sol majeur. Un son mordoré, un phrasé naturel, des graves profonds et des aigus éthérés: autant de qualités chez ce violoniste que nous retrouverons dans le flamboyant "Tzigane" ainsi que dans le Trio avec Jamie Walton au violoncelle.
Les 5e et 6e disques consacrés au chant nous proposent tout d’abord "Les histoires naturelles" sur des textes de Jules Renard. Le baryton Thomas Dolié en homogénéité parfaite avec le pianiste donne libre cours à la fantaisie nécessaire. Ses versions de Don Quichotte à Dulcinée et des Chansons madécasses nous plongent définitivement dans cette période des années folles au charme désuet. Plus tard sa version du "Grand sommeil noir" nous glacera le sang!
Dans diverses mélodies, la mezzo-soprano Brenda Poupard ne démérite pas avec sa voix bien timbrée et une belle diction.
Le dernier disque regroupe diverses chansons dont les «Deux mélodies hébraïques» interprétées avec grâce et pureté par Suzanne Jerosme.
Enfin les "Trois poèmes" de Stéphane Mallarmé (Soupir, Placet futile, Surgi de la croupe du bond) avec la participation des flûtistes Loïc Schneider et Natan Ca’Zorzi, des clarinettistes Panagiotis Giannakas et Quentin Chartier et du Quatuor Voce. Les musiciens en parfaite osmose trouvent des sonorités irréelles et magiques.
Si François-Xavier Poizat excelle dans la rythmique ravélienne et sa rigueur quasi métronomique, il sait également montrer toute la tendresse et l’humanité contenues dans les œuvres du Maître grâce à un jeu intègre, sans pathos ni sentimentalité exacerbée. D’apprécier la coordination des mains et leur exactitude sans effets de manchettes ni de retards. Le pianiste déclarait: "J’espère être aujourd’hui devenu un humble serviteur du génie ravélien". C’est désormais une certitude.

Anne Grafteaux-Géli
Publié le 10/12/2024 à 20:28, mis à jour le 08/01/2025 à 08:22.