Pauline Bartissol et Laurent Wagschal

Fauré : intégrale piano et violoncelle
Gabriel Fauré. Intégrale de l’œuvre pour piano et violoncelle. Pauline Bartissol, piano, Laurent Wagschal, violoncelle. CD Indésens

Dans un précédent compte rendu, Danielle Anex - Cabanis disait tout le bien qu’il fallait penser de l’art de Laurent Wagschal jouant des pièces pour piano de Gabriel Fauré. Elle louait sa faculté à entrer «dans l’univers du maître dont il partage sans doute le goût pour la discrétion, fuyant les effets faciles au profit d’un jeu plein de retenue tout en étant subtilement expressif. ». Dans cet enregistrement de l’intégrale des œuvres pour piano et violoncelle du même Fauré, il prolonge notre plaisir. Formé en 2017, le duo Bartissol-Wagschal explore un répertoire très riche, dont les sonates de Saint-Saens unanimement saluées. Voici le nouvel opus de leur discographie.
Natif de Pamiers (1845), Fauré est décédé il y a cent ans, le 4 novembre 1824. Cette «année Fauré» permet enfin de manière définitive d’inscrire le compositeur au plus haut du panthéon musical. Loin de l’image du professeur de conservatoire vénéré, figé et un rien suranné, Fauré est un compositeur de musique de chambre magnifique, vibrant, émouvant, passionné. Les pages ici rassemblées en témoignent avec une vive sensibilité. La première Sonate date de l’année 1917. Conçue en pleine guerre mondiale, elle en porte les traces émotionnelles. L’Allegro initial est tension, tumulte, angoisse: comment Fauré, le composant, oublierait-il que son fils lutte sur le front? Les deux interprètes se font l’écho de ces tourments, donnant par les martèlements de l’entrée, les accords du violoncelle fiévreux, par une construction abrupte du mouvement, une intensité tragique aux affres d’un père. L’Andante à rebours semble trouver un apaisement né en puisant dans les ressources intérieures de l’art et du courage: Pauline Bartissol et Laurent Wagschal en expriment toute la force lyrique. Un Allegro commodo largement ouvert – comme une respiration profonde – couronne cette haute structure. La seconde Sonate qui clôt l’enregistrement est postérieure de quatre années. Elle impose sa vigueur, comme un pied de nez aux alertes passées ou à venir. La pimpante allégresse du I dont les deux interprètes soulignent l’élégante alacrité avec une vivacité qui n’exclut pas le maintien de la ligne mélodique, le digne et ample thème du II dont le piano assure le tempo de marche funèbre, l’entrain joyeux du III, confiant et sans ombre, manifestent la parfaite harmonie qui règne entre les deux musiciens: le dialogue est incessant dans cette construction musicale assurée. Cinq autres pièces s’intercalent entre les deux sonates. Les climats, les couleurs, les intentions diffèrent de l’une à l’autre. On aime telle phrase guillerette au piano de la Sérénade, la discrète solennité de la célèbre Élégie – avec la reprise magnifique en demi-teinte du thème par le violoncelle-, l’envolée de la Romance qui s’affole, tel un cœur en émoi, le tourbillon enivré du Papillon, la souplesse de la sereine Sicilienne.
Comment rendre justice à Fauré? En le jouant comme nos deux complices, sobrement, sans jamais négliger la ligne, sans surcharge inutile qui serait contre sens, sans affadir les sentiments, sans en négliger la profondeur. «La musique de Fauré n’est pas une eau qui sommeille», disait Jankélévitch. Pauline Bartissol et Laurent Wagschal illustrent ici toute la pertinence de cette définition.

Jean Jordy
Publié le 12/11/2024 à 19:57.