Schwarze Erde Terre noire
Bartok, Schumann, Kodaly, Berg
Schwarze Erde, Mélodies de Bela Bartok, Robert Schumann, Zoltan Kodaly, Alban Berg. Corinna Scheurle, mezzosoprano, Klara Hornig, piano. CD BR Klassik. Solo Musica.
On peut dire des 23 pages lyriques ici réunies ce que Jankelevitch dit du lied romantique: «même dans ses mélodies les plus savantes il garde le souvenir de ses origines populaires». Deux jeunes femmes proposent un programme exigeant de lieder pour voix de mezzo-soprano et piano dont la beauté secrète impose une écoute active, récompensée par des émotions subtiles. Corinna Scheurle, membre permanent de la troupe de l’Opéra de Nuremberg est une interprète appréciée de rôles tels Octavian chez Strauss ou Chérubin chez Mozart. Sa complice Klara Hornig est une accompagnatrice de choix: son interprétation complice révèle une musicienne accomplie. Associer Bartok et Kodaly, quoi de plus naturel? Les deux ethno-musicologues ont entrepris une recension exceptionnellement féconde de chants traditionnels d’Europe centrale qui nourrissent leur œuvre. Huit mélodies populaires hongroises de Bartok ouvrent le récital. La première donne son titre - étrange - à l’album. En voici la traduction: «Ta tête noire, mon mouchoir est blanc, / Mon plus cher amant est parti / Il est parti sans même pleurer, / Mon cœur le sent, je mourrai bientôt. ». Sa simplicité poétique et mélodique se double curieusement d’arpèges au piano pour en renforcer la force émotionnelle. D’emblée se manifeste ainsi la complémentarité des deux interprètes, une voix riche d’harmoniques, un piano lyrique. La triste ballade du chant 6, sous ses airs paisibles, manifeste une indignation comme résignée devant des crimes de guerre: l’harmonie entre une pianiste sobre et une voix pénétrée émeut. Leur font écho les Sept Chants graves et d’une séduction moins immédiate de Zoltan Kodaly. Par exemple, l’hymne à «la solitude» (titre du premier) est empreint d’une mélancolie infinie. Corinne Scheurle sait lui conférer un tragique simple que solennisent les accords de Klara Hornig. Dans ce discret collier de bijoux hongrois, s’intercalent les Cinq lieder de Schumann. Ici encore, on apprécie l’intime fusion entre les deux voix, celle d’une mezzo-soprano au timbre clair, celle d’un piano à la fine musicalité. Les Quatre lieder de Berg op. 2 complètent le récital. Le sommeil et la mort en sont les thèmes dominants, confirmant la tonalité sombre de cet ensemble sans concession à la facilité. Les deux interprètes ne cherchent pas à séduire, mais à faire ensemble de la musique à un haut degré d’exigence esthétique. Conclure sur un cycle de Berg annonçant l’atonalité manifeste l’élévation de leur entreprise à laquelle il faut rendre hommage. Un bel enregistrement, dense et bien conçu, réalisé avec goût, interprété avec sobriété, d’une intelligence et d’une sensibilité remarquables.
On regrette que le livret et les textes soient proposés en allemand et en anglais seulement. L’absence de traductions des poèmes nécessite un recours systématique et à la longue ingrat à des sites spécialisés pour apprécier toute la gravité de ces terres noires. C’est plus qu’un regret qu’on exprime; c’est une faute de l’éditeur qu’on déplore.
Jean Jordy
On peut dire des 23 pages lyriques ici réunies ce que Jankelevitch dit du lied romantique: «même dans ses mélodies les plus savantes il garde le souvenir de ses origines populaires». Deux jeunes femmes proposent un programme exigeant de lieder pour voix de mezzo-soprano et piano dont la beauté secrète impose une écoute active, récompensée par des émotions subtiles. Corinna Scheurle, membre permanent de la troupe de l’Opéra de Nuremberg est une interprète appréciée de rôles tels Octavian chez Strauss ou Chérubin chez Mozart. Sa complice Klara Hornig est une accompagnatrice de choix: son interprétation complice révèle une musicienne accomplie. Associer Bartok et Kodaly, quoi de plus naturel? Les deux ethno-musicologues ont entrepris une recension exceptionnellement féconde de chants traditionnels d’Europe centrale qui nourrissent leur œuvre. Huit mélodies populaires hongroises de Bartok ouvrent le récital. La première donne son titre - étrange - à l’album. En voici la traduction: «Ta tête noire, mon mouchoir est blanc, / Mon plus cher amant est parti / Il est parti sans même pleurer, / Mon cœur le sent, je mourrai bientôt. ». Sa simplicité poétique et mélodique se double curieusement d’arpèges au piano pour en renforcer la force émotionnelle. D’emblée se manifeste ainsi la complémentarité des deux interprètes, une voix riche d’harmoniques, un piano lyrique. La triste ballade du chant 6, sous ses airs paisibles, manifeste une indignation comme résignée devant des crimes de guerre: l’harmonie entre une pianiste sobre et une voix pénétrée émeut. Leur font écho les Sept Chants graves et d’une séduction moins immédiate de Zoltan Kodaly. Par exemple, l’hymne à «la solitude» (titre du premier) est empreint d’une mélancolie infinie. Corinne Scheurle sait lui conférer un tragique simple que solennisent les accords de Klara Hornig. Dans ce discret collier de bijoux hongrois, s’intercalent les Cinq lieder de Schumann. Ici encore, on apprécie l’intime fusion entre les deux voix, celle d’une mezzo-soprano au timbre clair, celle d’un piano à la fine musicalité. Les Quatre lieder de Berg op. 2 complètent le récital. Le sommeil et la mort en sont les thèmes dominants, confirmant la tonalité sombre de cet ensemble sans concession à la facilité. Les deux interprètes ne cherchent pas à séduire, mais à faire ensemble de la musique à un haut degré d’exigence esthétique. Conclure sur un cycle de Berg annonçant l’atonalité manifeste l’élévation de leur entreprise à laquelle il faut rendre hommage. Un bel enregistrement, dense et bien conçu, réalisé avec goût, interprété avec sobriété, d’une intelligence et d’une sensibilité remarquables.
On regrette que le livret et les textes soient proposés en allemand et en anglais seulement. L’absence de traductions des poèmes nécessite un recours systématique et à la longue ingrat à des sites spécialisés pour apprécier toute la gravité de ces terres noires. C’est plus qu’un regret qu’on exprime; c’est une faute de l’éditeur qu’on déplore.
Jean Jordy
Publié le 25/06/2024 à 19:52.