Théâtre du Capitole
> 3 décembre
Boris Godounov
Photographies par Mirco Cosimo Magliocca
D’autres se sont déjà exprimé sur cet opéra, mais l’ayant vu à sa dernière représentation, je tenterai, après avoir lu de nombreuses critiques, de formuler un bilan personnel et, j’espère libre de toute influence.
Dans sa démarche de création russe, Moussorgski a puisé dans l’histoire mouvementée, souvent sanglante de son pays, les thèmes de ses deux opéras Boris et la Kovantchina. Il y a une mélange de regard critique sur le pouvoir, qui va de pair avec une sorte d’aveu de nécessité pour gérer le pays, que savent récupérer les autocrates de tous les temps qui ont mené la Russie d’une main de fer, au demeurant pas exclusive de l’attachement des sujets, puis des citoyens que les Russes sont devenus, encore que cette mutation puisse poser question.
Pouchkine veut donner la parole au peuple, à ses yeux, semble-t-il, le seul acteur légitime alors que les chefs, auxquels il ne dénie pas des qualités, sont d’abord mus par leurs passions et leurs intérêts, leur soif de pouvoir. S’inspirant d’un très long poème d’Alexandre Pouchkine en 24 tableaux qu’il resserre en 7, il entend «raconter» l’arrivée compliquée de Boris au pouvoir, qu’il ne voulait pas, son glissement vers le despotisme, sa hantise face à ce qu’il a fait et son glissement dans la folie. Il a pourtant été d’abord un bon chef d’état, on le voit bon père, tendre avec sa fille qui a perdu son fiancé, admiratif à l’égard de son fils auquel il reconnaît des qualités de cartographe. Assassin du tsarévitch Grigori, il voit se dresser contre lui un moine qui se prétend le vrai Grigori, rallie des opposants pour le chasser. La boucle est bouclée, son pouvoir vacille, il meurt fou, rongé par le remords.
Confier la mise en scène à Olivier Py est un pari, car il a des obsessions qui ne passent pas nécessairement. Là le pari est gagné. Jouant sur des décors mobiles et tournants, le metteur en scène suggère finement. La violence soldatesque est traduite par une résurgence du groupe Wagner et son sinistrement célèbre Z projeté sur le décor. Le sacre de Boris est sobre, après ses longues hésitations pour accepter le pouvoir, le chant liturgique, la couronne et les chants orthodoxes permettent d’imaginer ou pas tous les fastes que l’on veut, ce qui d’avance soulignera la mort La toile peinte représentant Poutine et Staline, la grande table de réunion avec poutine à un bout, son interlocuteur, loin, en face est évidemment un clin d’œil. On pense aux images du Président Macron rencontrant Poutine dans un environnement analogue. tragique du tsar. Le vieux moine solitaire qui rédige sa chronique qui donne des idées à son novice, le faux Grigori est fort émouvant, tout en étant passablement grinçant dans sa volonté de transmettre la vérité. Les apparitions du simplet dans un costume grotesque, ponctuant les faits de ses commentaires, s’avère très efficace. Alors que tout est ridicule en lui, on prête attention à son propos tragiquement sage.
La musique: l’œuvre est somptueuse et elle est servie par une grande qualité d’exécution. Soulignons la performance de l’orchestre et des chœurs, magnifiquement préparés, sous la direction avisée du chef Andris Poga.
Si on a pu regretter le forfait du baryton basse prévu son remplaçant Alexander Roslavets tient fort bien le rôle, avec une présence scénique remarquable. On retrouve avec plaisir Roberto Scianduzzi, un habitué du Capitole, dans le rôle du moine chroniqueur Pimène. Marius Brenciu est un superbe Prince Vassili Chouiski, tandis que le ténor Kristofer Lundin campe un Innocent très crédible, tout comme Airam Hernandez en faux-Dimitri. Sans détailler plus avant, les autres rôles sont fort brefs, ce qui n’exclut pas de grandes qualités bien mises en valeur et en grande harmonie entre eux et l’ensemble des artistes.
Une très belle matinée, tant pour le visuel que – et surtout – pour la musique, somptueusement servie par des artistes de talent, avec en plus une invitation à la réflexion tragiquement nécessaire en ces temps sur le pouvoir, sa légitimité, ses éventuelles dérives.
Danielle Anex-Cabanis
Dans sa démarche de création russe, Moussorgski a puisé dans l’histoire mouvementée, souvent sanglante de son pays, les thèmes de ses deux opéras Boris et la Kovantchina. Il y a une mélange de regard critique sur le pouvoir, qui va de pair avec une sorte d’aveu de nécessité pour gérer le pays, que savent récupérer les autocrates de tous les temps qui ont mené la Russie d’une main de fer, au demeurant pas exclusive de l’attachement des sujets, puis des citoyens que les Russes sont devenus, encore que cette mutation puisse poser question.
Pouchkine veut donner la parole au peuple, à ses yeux, semble-t-il, le seul acteur légitime alors que les chefs, auxquels il ne dénie pas des qualités, sont d’abord mus par leurs passions et leurs intérêts, leur soif de pouvoir. S’inspirant d’un très long poème d’Alexandre Pouchkine en 24 tableaux qu’il resserre en 7, il entend «raconter» l’arrivée compliquée de Boris au pouvoir, qu’il ne voulait pas, son glissement vers le despotisme, sa hantise face à ce qu’il a fait et son glissement dans la folie. Il a pourtant été d’abord un bon chef d’état, on le voit bon père, tendre avec sa fille qui a perdu son fiancé, admiratif à l’égard de son fils auquel il reconnaît des qualités de cartographe. Assassin du tsarévitch Grigori, il voit se dresser contre lui un moine qui se prétend le vrai Grigori, rallie des opposants pour le chasser. La boucle est bouclée, son pouvoir vacille, il meurt fou, rongé par le remords.
Confier la mise en scène à Olivier Py est un pari, car il a des obsessions qui ne passent pas nécessairement. Là le pari est gagné. Jouant sur des décors mobiles et tournants, le metteur en scène suggère finement. La violence soldatesque est traduite par une résurgence du groupe Wagner et son sinistrement célèbre Z projeté sur le décor. Le sacre de Boris est sobre, après ses longues hésitations pour accepter le pouvoir, le chant liturgique, la couronne et les chants orthodoxes permettent d’imaginer ou pas tous les fastes que l’on veut, ce qui d’avance soulignera la mort La toile peinte représentant Poutine et Staline, la grande table de réunion avec poutine à un bout, son interlocuteur, loin, en face est évidemment un clin d’œil. On pense aux images du Président Macron rencontrant Poutine dans un environnement analogue. tragique du tsar. Le vieux moine solitaire qui rédige sa chronique qui donne des idées à son novice, le faux Grigori est fort émouvant, tout en étant passablement grinçant dans sa volonté de transmettre la vérité. Les apparitions du simplet dans un costume grotesque, ponctuant les faits de ses commentaires, s’avère très efficace. Alors que tout est ridicule en lui, on prête attention à son propos tragiquement sage.
La musique: l’œuvre est somptueuse et elle est servie par une grande qualité d’exécution. Soulignons la performance de l’orchestre et des chœurs, magnifiquement préparés, sous la direction avisée du chef Andris Poga.
Si on a pu regretter le forfait du baryton basse prévu son remplaçant Alexander Roslavets tient fort bien le rôle, avec une présence scénique remarquable. On retrouve avec plaisir Roberto Scianduzzi, un habitué du Capitole, dans le rôle du moine chroniqueur Pimène. Marius Brenciu est un superbe Prince Vassili Chouiski, tandis que le ténor Kristofer Lundin campe un Innocent très crédible, tout comme Airam Hernandez en faux-Dimitri. Sans détailler plus avant, les autres rôles sont fort brefs, ce qui n’exclut pas de grandes qualités bien mises en valeur et en grande harmonie entre eux et l’ensemble des artistes.
Une très belle matinée, tant pour le visuel que – et surtout – pour la musique, somptueusement servie par des artistes de talent, avec en plus une invitation à la réflexion tragiquement nécessaire en ces temps sur le pouvoir, sa légitimité, ses éventuelles dérives.
Danielle Anex-Cabanis
Publié le 12/12/2023 à 20:06.