J-S Bach Trois Cantates
Anti-Melancholicus
J-S Bach, Cantates BWV 131, 13, 106. «Anti-Melancholicus», Alia Mens, Olivier Spilmont. CD Paraty.
Le titre de cet enregistrement ne doit pas abuser. La cure anti mélancolique qu’il propose ne se veut pas remède à une passagère tristesse et banal encouragement à une attitude zen, comme en prescrivent tant d’influenceurs nunuches, sous la forme de l’orviétan du «lâcher prise». Et la mélancolie combattue ne saurait être assimilée à un vague vague à l’âme. Il s’agit d’un mal profond, celui de l’âme, d’une angoisse métaphysique, proche de la déréliction. Le livret d’accompagnement éclaire d’une façon plus autorisée et plus savante l’origine de l’intitulé de l’album. «Anti-Melancholicus est le titre d’un ouvrage de théologie que possédait Bach dans sa bibliothèque personnelle. L’auteur, August Pfeiffer [… ], y combattait le calvinisme, alors considéré comme une hérésie condamnable, et professait l’obéissance à une stricte orthodoxie. On comprend que Bach, véritable fils spirituel de Luther, y ait trouvé une confirmation de son ardente foi chrétienne. ». Les cantates retenues affirment pleinement une confiance en Dieu, seul adjuvant pour trouver la paix de l’âme. Conçu et réalisé par Olivier Spilmont, directeur de l’ensemble Alia Mens, le chemin proposé par le groupement des trois cantates de Bach est celui de l’âme du pêcheur, implorant le Seigneur du fond de son angoisse, et trouvant dans la foi raison d’être et d’espérer. Les interprètes inspirés de ces trois œuvres construisent une représentation de cet itinéraire spirituel semblable au rayonnement d’un vitrail illuminé, à l’élévation d’un portique de cathédrale, à la simplicité d’un tableau de Giotto, à la sérénité d’une prière. Le bonheur éprouvé par l’auditeur vient de la splendeur des pages élues et de la qualité d’une exécution exigeante et harmonieuse. Et d’abord du choix idéal des tempi adoptés. Entendez comme se déploie la ligne vocale et instrumentale dès l’entrée du BWV 131 «Aus der Tiefen rufe ich, Herr, zu dir» ( «Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur»). La fervente prière est moins empreinte de douleur que d’une sérénité apaisée. Et le second vers trouve sa juste expression lyrique dans un élan presque impatient. Voix au premier plan et chœurs alternent ou s’embrassent dans une composition dont on admire l’unité de ton, l’équilibre et l’étagement des sources. Le choix des solistes – Elodie Fonnard, soprano, William Shelton, alto, Thomas Hobbs, ténor, Romain Bockler, basse servant le texte avec justesse - s’avère idéal. Qualité de la prononciation, souplesse de la virtuosité et de la ligne, concentration du chant, refus du pathos, simplicité sans artifice de la rhétorique lyrique communient dans cette célébration noble et dépouillée que couronne un final rayonnant. Le premier vers de la deuxième cantate «Meiner Seufzer, meine Tränen» ( «Mes soupirs, mes larmes») impose le registre dominant, déchiré, déchirant: Thomas Hobbs en exprime avec délicatesse la mélodieuse tristesse. Le désespoir culmine dans un air de basse dont Gilles Cantagrel analyse la beauté tragique: «Malgré la simplicité des moyens, on aura rarement entendu semblable désolation, paysage d’une âme dévastée». Romain Bockler, soutenu par des instrumentistes pénétrés, y apporte l’élégance et la profondeur espérées. L’ultime Cantate BWV 106, la plus célèbre de cet ensemble, affirme avec ardeur: «Le temps de Dieu est le meilleur des temps». On retrouve chez les interprètes les mêmes qualités: cohérence de la conception, harmonie des parties, pertinence des tempi, savant dépouillement du chant, délicatesse de l’expression, fusion subtile des sonorités, fluidité du discours musical, élévation. Conjuguées, elles servent la sublime musique de Bach avec rigueur, humanité, simplicité et lumineuse gravité. On saluera de plus le souci de l’éditeur d’inclure et de traduire (français, anglais) le texte des trois cantates.
Jean Jordy
Écouter Alia Mens, Bach, BWV 131, Israel hoffe auf den Herrn sur YouTube.
Le titre de cet enregistrement ne doit pas abuser. La cure anti mélancolique qu’il propose ne se veut pas remède à une passagère tristesse et banal encouragement à une attitude zen, comme en prescrivent tant d’influenceurs nunuches, sous la forme de l’orviétan du «lâcher prise». Et la mélancolie combattue ne saurait être assimilée à un vague vague à l’âme. Il s’agit d’un mal profond, celui de l’âme, d’une angoisse métaphysique, proche de la déréliction. Le livret d’accompagnement éclaire d’une façon plus autorisée et plus savante l’origine de l’intitulé de l’album. «Anti-Melancholicus est le titre d’un ouvrage de théologie que possédait Bach dans sa bibliothèque personnelle. L’auteur, August Pfeiffer [… ], y combattait le calvinisme, alors considéré comme une hérésie condamnable, et professait l’obéissance à une stricte orthodoxie. On comprend que Bach, véritable fils spirituel de Luther, y ait trouvé une confirmation de son ardente foi chrétienne. ». Les cantates retenues affirment pleinement une confiance en Dieu, seul adjuvant pour trouver la paix de l’âme. Conçu et réalisé par Olivier Spilmont, directeur de l’ensemble Alia Mens, le chemin proposé par le groupement des trois cantates de Bach est celui de l’âme du pêcheur, implorant le Seigneur du fond de son angoisse, et trouvant dans la foi raison d’être et d’espérer. Les interprètes inspirés de ces trois œuvres construisent une représentation de cet itinéraire spirituel semblable au rayonnement d’un vitrail illuminé, à l’élévation d’un portique de cathédrale, à la simplicité d’un tableau de Giotto, à la sérénité d’une prière. Le bonheur éprouvé par l’auditeur vient de la splendeur des pages élues et de la qualité d’une exécution exigeante et harmonieuse. Et d’abord du choix idéal des tempi adoptés. Entendez comme se déploie la ligne vocale et instrumentale dès l’entrée du BWV 131 «Aus der Tiefen rufe ich, Herr, zu dir» ( «Des profondeurs, je crie vers toi, Seigneur»). La fervente prière est moins empreinte de douleur que d’une sérénité apaisée. Et le second vers trouve sa juste expression lyrique dans un élan presque impatient. Voix au premier plan et chœurs alternent ou s’embrassent dans une composition dont on admire l’unité de ton, l’équilibre et l’étagement des sources. Le choix des solistes – Elodie Fonnard, soprano, William Shelton, alto, Thomas Hobbs, ténor, Romain Bockler, basse servant le texte avec justesse - s’avère idéal. Qualité de la prononciation, souplesse de la virtuosité et de la ligne, concentration du chant, refus du pathos, simplicité sans artifice de la rhétorique lyrique communient dans cette célébration noble et dépouillée que couronne un final rayonnant. Le premier vers de la deuxième cantate «Meiner Seufzer, meine Tränen» ( «Mes soupirs, mes larmes») impose le registre dominant, déchiré, déchirant: Thomas Hobbs en exprime avec délicatesse la mélodieuse tristesse. Le désespoir culmine dans un air de basse dont Gilles Cantagrel analyse la beauté tragique: «Malgré la simplicité des moyens, on aura rarement entendu semblable désolation, paysage d’une âme dévastée». Romain Bockler, soutenu par des instrumentistes pénétrés, y apporte l’élégance et la profondeur espérées. L’ultime Cantate BWV 106, la plus célèbre de cet ensemble, affirme avec ardeur: «Le temps de Dieu est le meilleur des temps». On retrouve chez les interprètes les mêmes qualités: cohérence de la conception, harmonie des parties, pertinence des tempi, savant dépouillement du chant, délicatesse de l’expression, fusion subtile des sonorités, fluidité du discours musical, élévation. Conjuguées, elles servent la sublime musique de Bach avec rigueur, humanité, simplicité et lumineuse gravité. On saluera de plus le souci de l’éditeur d’inclure et de traduire (français, anglais) le texte des trois cantates.
Jean Jordy
Écouter Alia Mens, Bach, BWV 131, Israel hoffe auf den Herrn sur YouTube.
Publié le 12/07/2023 à 00:21.