Halle aux grains
> 8 juin

Eden

Les grands interprètes
Photographies par Sergi Jasanada
La mezzo américaine a bien choisi le titre de son spectacle, elle nous emmène à ce paradis qu’on a perdu, le jardin d’Eden. Dans une démarche artistique et pédagogique, elle a construit un spectacle dans lequel elle ne se contente pas de chanter, mais joue dans un décor chargé de symboles et mutant, tandis que les éclairages créent des atmosphères successives, passant de l’intimisme à l’expression d’une passion qu’elle veut partager. Il y a un message que les airs choisis et la très poétique gestuelle de la chanteuse veut faire entendre, voire plus, elle veut le proclamer: la planète est belle, elle est notre mère à tous, il faut la protéger, l’aimer tous ensemble pour que règnent la paix et l’harmonie.
Elle a construit un programme dans lequel textes et musique sont intimement liés pour délivrer son message dans une sorte de progression qui se moque des chronologies usuelles pour se concentrer sur le thème de la beauté du monde. Démarrer avec «The Unanswered questions» de Charles Ives, chantées lèvres fermées, sans qu’on voie Joyce DiDonato, est remarquable, le spectateur est submergé par une émotion que le «first Morning of the World» de Rachel Portman vient conforter et qui se poursuit avec le 2e des «Rückertlieder» de Mahler, Je respire un doux air. La musique est tellement porteuse d’évocations, qu’on sent cette douceur, qu’on retrouve en fin de spectacle avec le 3e de ces chants: le poète est mort au monde, mais «je repose dans un coin tranquille… Je vis solitaire dans mon ciel, dans mon amour, dans mon chant. »
Dans la même veine, la mezzo donne une interprétation bouleversante de poèmes d’Emily Dickinson, «Nature, the gentlest mother» mis en musique par Aaron Copland. Dans une alternance harmonieuse suivent de Biagio Marini «Con le stelle in Ciel que mai», de Josef Myslivecek, tiré de Adamo ed Eva, «Togliero le sponde al mare», qui exprime la fureur de l’Eternel, Francesco Cavalli «Piante Ombrose», tiré de son opéra Calisto, puis «Misera, dove son!» tiré de l’opéra Ezio de Gluck, qui fait suite à la «Danse des spectres et des furies», extrait d’Orphée, du même Gluck, et, extrait de Theodora de Haendel, «As with rosy steps the morn».
Le concert se poursuit avec le chœur d’enfants «Eclats», qui interprète et joue une très belle mélodie dans le prolongement du programme. Joyce DiDonato en profite pour délivrer son message, tout en mettant en valeur les enfants devant lesuels elle s’efface avec beaucoup de grâce. Le récital par un bis somptueux, «Umbra mai fu», dans lequel Xerxès chante son amour pour un arbre, un platane, extrait de «Serse» de Haendel. C’est un triomphe mérité pour une très grande dame de la musique.

Danielle Anex-Cabanis
Publié le 12/06/2023 à 20:28, mis à jour le 26/07/2023 à 21:58.