Théâtre du Capitole
> 23 mai

Le viol de Lucrèce

Photographie par Tonje Thoresen
Créé en 1946 au festival de Glyndebourne, avec l’inoubliable et trop tôt disparue Kahleen Ferrier, le Viol de Lucrèce de Britten s’inscrit dans la tradition chère à ce compositeur d’œuvres en format réduit avec ses 8 chanteurs et 13 musiciens dans la fosse. C’est la tragique histoire de la belle Lucrèce, violée et donc déshonorée par Tarquin le Jeune, le fils du roi Tarquin alors sur le trône. Cet infâme forfait a entraîné la chute de la monarchie, tandis que Lucrèce, malgré le pardon sans réserve de son époux, Collatin. Ces faits, tragiquement simples ont inspiré, peintres, auteurs de pièces de théâtre et essayiste. Britten, qui a le plus souvent mis à l’honneur des héros masculins, certains étant dédicataires des rôles, souligne ici la grandeur d’une femme, Lucrèce, dont il campe un portrait sublime. Au drame historique, Britten ajoute un réflexion christique sur le salut par la souffrance du Christ. C’est évidemment historiquement discutable, mais passe très bien de manière intemporelle, donc avec une force exceptionnelle, sans que le spectateur n’ait une sensation artificielle. Cette production est à mes yeux le clou de la saison du Capitole, pourtant de très grande qualité par ailleurs.
Des décors raffinés, un mât de navire incliné avec sa voile repliée, évoquant l’éloignement des soldats, tout cela contribue à faire pénétrer le spectateur dans l’histoire, avant de se redresser et représenter une croix stylisée, écho de la dimension transcendante de l’œuvre. Le désir de Tarquin est ici constamment violent, irrépressible, on le dirait en proie à une sorte de malédiction, face auquel Lucrèce a beau lutter de toute son âme. La force n’est pas de son côté, l’odieux personnage arrive à ses fins. Tout se termine dramatiquement par le suicide de Lucrèce. Agnieszka Riehlis lui donne vie et suscite une émotion immense et en même temps son jeu et son chant sont pleins de pudeur qui contraste avec la détermination sauvage de Duncan Rock, magistral et sombre Tarquin, qui pourrait dire comme le Valmont des Liaisons dangereuses: ce n’est pas ma faute! Les instruments suggèrent ce que les mots ne disent pas, tel ou tel étant en quelque sorte le support d’un personnage, ainsi le cor anglais pour Lucrèce. Les dames de compagnie incarnent la douceur (Bianca, alias Juliette Mars), ou plus de fermeté (Lucia, alias Céline Laborie). Marie-Laure Garnier incarne somptueusement le chœur dont Cyrille Dubois tien aussi avec talent l’univers masculin. Le baryton Philippe-Nicolas Martin, justement applaudi par le public, est un Junius très émouvant. Sa voix chaude a un registre très large qu’il maîtrise à merveille; Quant à Dominic Barberi, c’est un Collatin très vivant, qui montre son amour pour sa femme qu’il aime profondément et a des intonations qui touchent au sublime.
Marius Stieghorst assure une direction, précise, respectant le phrasé combiné des mots et de la musique, ce qui permet au spectateur d’apprécier ce qu’il entend et voit dans une sorte de progression qui le met au cœur du drame. Le temps est suspendu, c’est magnifique. Merci les artistes.

Danielle Anex-Cabanis
Publié le 31/05/2023 à 18:54, mis à jour le 31/05/2023 à 18:58.