Tal Walker, piano

Fauré, Poulenc et Messiaen
Gabriel Fauré, Neuf Préludes; Francis Poulenc, Huit Nocturnes; Olivier Messiaen, Huit Préludes. Tal Walker, piano. CD Galaxie Y.

Petites formes, miniatures… Tout diminutif a une connotation péjorative ou mièvre. La collection joliment intitulée «Cabinet de curiosités» chez Galaxie Y assume fièrement le parti pris en mettant «en avant de petites perles pianistiques trop rarement jouées». Ainsi de l’enregistrement que Tal Walker, pianiste doctorant au Royal College of Music de Londres, propose de pièces brèves pour piano de trois compositeurs de musique française: vingt cinq mini joyaux en quelque soixante-quinze minutes. Trois esthétiques de l’euphémisme, trois expressions de l’éphémère. Dans toute son œuvre, Fauré a recherché, selon sa belle définition, «le goût de la clarté dans la pensée, de la sobriété et de la pureté dans la forme». Les Neuf Préludes pour piano en sont l’expression la plus parfaite. Composés entre 1909 et 1910, année du centenaire de la naissance de Chopin, quelques mois avant les premiers de Debussy, ils esquissent des paysages intérieurs, sans qu’aucun programme ni aucun titre n’en suggèrent le sujet. La seule indication de la tonalité suffit à caractériser chacun, alternant majeur et mineur. Pour les interpréter, il faut une délicatesse de touche, une sensibilité discrète, un raffinement qui fuit la pose, mais aussi une fermeté qui suggérant l’émoi sache le contrôler. Le jeune pianiste, élégant et assuré, y excelle. Chaque pièce renferme dans sa structure étroite des trésors d’inventivité (couleurs et rythme), des instants d’émotion concentrée qu’on savoure dans son intimité. Car ce Fauré est celui qui parle à l’âme et l’interprète, à la fois présent et effacé, en est le messager musical. Les Huit Nocturnes de Poulenc (1929-1938) explorent, mine de rien ou sans y toucher si on ose écrire, le labyrinthe intime d’une personnalité complexe, déchirée entre plusieurs postulations ou pulsions. Tal Walker en fait jaillir ou sourdre les humeurs changeantes, angoisses nocturnes ou plaisants déguisements, leurres de fantaisie ou ferventes prières. Le piano n’a plus les couleurs et la transparence fauréennes, mais une tonicité, une plénitude chaude qui rendent justice à cette musique plus robuste, plus charpentée. Cette métamorphose est à mettre tout entière au crédit d’un interprète subtil musicien qui sait trouver pour chaque univers la juste palette. Ainsi du Messiaen, lumineux et intense qui ferme le triptyque. Les Huit Préludes (1829), référence avérée aux pièces de Debussy, tissent une trame sonore que deux de leurs titres aident à définir: Les sons impalpables du rêve (V), Un reflet dans le vent (VIII). De ces sensations ténues, de ces fugaces émotions, Tal Walker est le traducteur, le poétique passeur.
Saluons l’élégante présentation des trois cycles que précède pour chacun une citation littéraire du meilleur goût et d’une grande finesse. Ainsi des vers sensibles de Cécile Sauvage, mère d’Olivier Messiaen. Le livret complète le raffinement et la cohérence de ce précieux recueil de musique française, interprétée avec tact et intelligence par un artiste dont nous suivrons le parcours avec une vive curiosité.

Jean Jordy
Publié le 28/03/2023 à 19:24, mis à jour le 28/03/2023 à 19:26.