Prokoviev, War and Peace
Véronique Bonnecaze, piano
Prokoviev, War and Peace. Sonate pour piano n°6, op. 82, Dix pièces extraites de Roméo et Juliette, op. 75, Visions Fugitives, op. 22, Trois pièces pour piano, op. 96, Contes de la Vieille Grand-mère, op. 31. Véronique Bonnecaze, piano. CD Paraty.
Voici le troisième enregistrement de Véronique Bonnecaze que nous chroniquons, et avec le même sentiment d’évidence musicale. Après ses Chopin, Liszt, Schumann, Debussy, elle explore aujourd’hui sous le titre tolstoïen de Guerre et Paix l’univers d’un compositeur à la fois violent, voire agressif et magnifique mélodiste, Sergei Prokoviev. Un des grands maîtres» du piano au XXe siècle. Le programme s’avère exemplaire, qui réunit une des neuf sonates, la 6e, brutale, les délicates Visions fugitives et trois autres ensembles tout aussi contrastés appartenant à diverses périodes de composition, d’une guerre mondiale à l’autre. Inlassablement jouée par Sviatoslav Richter, la Sixième Sonate, par-delà le classicisme formel, brise les cadres, s’ébroue, se cabre, se tend. Richter, qui la créera en public en 1940, avouait: «Je n’avais jamais rien entendu de tel. Le compositeur y brisait les idéaux du romantisme avec une audace sauvage et incorporait dans sa musique la pulsation terrifiante du XXe siècle». Véronique Bonnecaze l’aborde et le conclut avec une forme d’ardeur sèche, une énergie farouche, une âpreté sans concession. Même si des épisodes plus doux affleurent, s’épanchent fugitivement, l’interprétation impose sa rudesse virtuose, implacable. Et quel sens du rythme dans l’Allegretto: le cavalier maîtrise ici sa monture pour un exercice plaisamment cadencé. Le Temps de Valse impose sa lente langueur triste. «Guerre et paix» se confrontent sombrement au cœur d’une même œuvre, d’une même intense interprétation. Des Dix pièces brèves venues du ballet Roméo et Juliette nous aimons ici la tendresse. Les Visions fugitives, sous les doigts de la pianiste française sous le charme, sont instants de rêves, vaporeux, faussement simples, des saisies de l’intime qui ne refusent pas une forme d’espièglerie, un côté ludique et malicieux dont Véronique Bonnecaze semble avoir la clé: la clé des songes? Toutes les pages de cet ensemble révèlent leur mystérieuse beauté, tout comme les délicats Contes de la Vieille Grand-Mère, pudiques souvenirs aux rythmes subtils. La Grande valse, synthèse d’une scène de la fresque lyrique Guerre et Paix, fait briller une étincelante virtuosité: elle ne peut faire oublier dans la légèreté de son rythme la misère que refuse de voir un régime atroce, celui du roman, celui dans lequel baigne le compositeur. L’interprète sait par des boiteries rythmiques en rendre l’éclat et la fausseté.
Pour évoquer sa carrière, Véronique Bonnecaze évoque un «périple musical» dont ce Prokoviev serait une «nouvelle étape». C’est en effet un parcours d’artiste exigeant, sans complaisance, sans compromis, qui la conduit à choisir des univers divers et profonds, techniquement redoutables, qu’elle affronte avec un engagement, une rigueur et un style qui font d’elle une musicienne rare. Trop rare.
Jean Jordy
Écouter un extrait sur le site Web de l’artiste.
Voici le troisième enregistrement de Véronique Bonnecaze que nous chroniquons, et avec le même sentiment d’évidence musicale. Après ses Chopin, Liszt, Schumann, Debussy, elle explore aujourd’hui sous le titre tolstoïen de Guerre et Paix l’univers d’un compositeur à la fois violent, voire agressif et magnifique mélodiste, Sergei Prokoviev. Un des grands maîtres» du piano au XXe siècle. Le programme s’avère exemplaire, qui réunit une des neuf sonates, la 6e, brutale, les délicates Visions fugitives et trois autres ensembles tout aussi contrastés appartenant à diverses périodes de composition, d’une guerre mondiale à l’autre. Inlassablement jouée par Sviatoslav Richter, la Sixième Sonate, par-delà le classicisme formel, brise les cadres, s’ébroue, se cabre, se tend. Richter, qui la créera en public en 1940, avouait: «Je n’avais jamais rien entendu de tel. Le compositeur y brisait les idéaux du romantisme avec une audace sauvage et incorporait dans sa musique la pulsation terrifiante du XXe siècle». Véronique Bonnecaze l’aborde et le conclut avec une forme d’ardeur sèche, une énergie farouche, une âpreté sans concession. Même si des épisodes plus doux affleurent, s’épanchent fugitivement, l’interprétation impose sa rudesse virtuose, implacable. Et quel sens du rythme dans l’Allegretto: le cavalier maîtrise ici sa monture pour un exercice plaisamment cadencé. Le Temps de Valse impose sa lente langueur triste. «Guerre et paix» se confrontent sombrement au cœur d’une même œuvre, d’une même intense interprétation. Des Dix pièces brèves venues du ballet Roméo et Juliette nous aimons ici la tendresse. Les Visions fugitives, sous les doigts de la pianiste française sous le charme, sont instants de rêves, vaporeux, faussement simples, des saisies de l’intime qui ne refusent pas une forme d’espièglerie, un côté ludique et malicieux dont Véronique Bonnecaze semble avoir la clé: la clé des songes? Toutes les pages de cet ensemble révèlent leur mystérieuse beauté, tout comme les délicats Contes de la Vieille Grand-Mère, pudiques souvenirs aux rythmes subtils. La Grande valse, synthèse d’une scène de la fresque lyrique Guerre et Paix, fait briller une étincelante virtuosité: elle ne peut faire oublier dans la légèreté de son rythme la misère que refuse de voir un régime atroce, celui du roman, celui dans lequel baigne le compositeur. L’interprète sait par des boiteries rythmiques en rendre l’éclat et la fausseté.
Pour évoquer sa carrière, Véronique Bonnecaze évoque un «périple musical» dont ce Prokoviev serait une «nouvelle étape». C’est en effet un parcours d’artiste exigeant, sans complaisance, sans compromis, qui la conduit à choisir des univers divers et profonds, techniquement redoutables, qu’elle affronte avec un engagement, une rigueur et un style qui font d’elle une musicienne rare. Trop rare.
Jean Jordy
Écouter un extrait sur le site Web de l’artiste.
Publié le 02/01/2023 à 20:14.