Maurice Ravel
Intégrale de la musique de chambre instrumentale
Ensemble Sésame. Intégrale de la musique de chambre instrumentale de Maurice Ravel. 3 CD NoMadMusic.
Une somme. Un sommet. L’entreprise conduite de main de maître par l’Ensemble Sésame ouvert à des confrères compagnons de route s’avère par son enjeu même une expérience passionnante pour l’auditeur qui se plaît à s’immerger dans l’univers sonore du compositeur français. Que telle page ou tel mouvement se trouve ponctuellement en deçà des souvenirs d’écoute importe peu. C’est l’intégrale, sa conception, son mouvement, son envergure, son équilibre, sa dynamique qui emportent l’adhésion. Et que ce Ravel est beau, intense, inventif! De Ma mère l’Oye pour piano à quatre mains, œuvre initiale du premier CD à la Sonate pour violon et violoncelle qui clôt l’ensemble, images colorées, récits fiévreux, rythmes novateurs et savoureux, rêves d’Orient ou souvenirs moins exotiques, paysages scintillants et raffinés, voyages d’une énergique envolée enflamment notre imagination et émerveillent. Les concepteurs de ce programme ne suivent pas l’ordre chronologique de composition qui, besogneux, créerait l’illusion d’un Ravel in progress. Les appariements procèdent d’une logique plus secrète, un peu à l’image de celle qui a présidé à la constitution de l’Ensemble Sésame lui-même au gré des rencontres, des affinités, des pulsions, des coups de cœur. A l’origine quatuor, puis quintette, aujourd’hui pour cette première discographique, élargi fugacement à un flûtiste, un clarinettiste, une harpe, le groupe d’amis parcourt l’œuvre de chambre du compositeur français avec un appétit gourmand, une exigence de gourmet, une alacrité qui n’exclut pas la rigueur stylistique. Traçons un chemin buissonnier à travers cette exubérante fête sonore. De Ma Mère l’Oye nous entendons la partition originale (1910) pour piano à quatre mains, celles de Barbara Giepner et de Julien Le Pape, moins enfantins que mystérieux, féériques. On peut à bon droit faire dialoguer ce climat avec celui qui baigne la Sonate n°1 pour violon et violoncelle de 1922, tout aussi ludique. Dans le premier temps construit «comme un jeu de piste entre enfants» (dixit Michel Sendrez), le tendre violoncelle de Maitane Sebastian croise le chemin d’Ann-Estelle Médouze dont le violon fantasque chante l’insouciance. Se répondent encore deux Sonates pour violon et piano. Dans l’une, «posthume» (1897), le violon raffiné d’Ann-Estelle Médouze dialogue avec Julien Le Pape, confronté pour la seconde (1927) à la virtuosité de Naaman Sluchin. La première, ressuscitée d’on ne sait quelle collection, est celle d’un habile faiseur, servi ici avec probité. L’ultime témoigne du génie d’un compositeur qui allie, non sans humour (le Blues), sinuosité des lignes, sonorités audacieuses, structuration complexe: les deux compères dans le Perpetuum mobile se renvoient la balle avec une habileté et un punch jubilatoires. La date du Trio en la mineur (1914) suffirait à en traduire l’angoisse sous-jacente ou plus prégnante: Naaman Sluchin, Julien Le Pape, et au violoncelle Maitane Sebastian en offrent une lecture anxieuse, d’un outrenoir avant Soulages troué des mêmes traits de lumière. Entre cloches sonne à toute volée, Tzigane et la Rapsodie espagnole vibrent d’intenses frémissements: leur interprétation, profonde et fringante, teinte de noir (encore) les éblouissements d’un musicien captivé par les échos de danses venues d’ailleurs. Le Quatuor à cordes (1903), chef d’œuvre de Ravel, est conforme à nos attentes, miracle de finesse, de grâce, de pudique émerveillement. Soulignons pour la plus rare Introduction et allegro (1905) l’apport précieux d’Aldo Baerten (flûte), Mathieu Steffanus (clarinette), Primor Sluchin (harpe) dans ce septuor sensuel et lumineux à l’élégante fluidité.
L’excellente présentation des œuvres, dense et claire, par le compositeur, pianiste et ici conseiller musical Michel Sendrez, témoigne de sa connaissance intime de l’œuvre de Maurice Ravel. Elle complète à la perfection cet ensemble de très haute tenue qui devient notre nouvelle référence.
Jean Jordy
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Une somme. Un sommet. L’entreprise conduite de main de maître par l’Ensemble Sésame ouvert à des confrères compagnons de route s’avère par son enjeu même une expérience passionnante pour l’auditeur qui se plaît à s’immerger dans l’univers sonore du compositeur français. Que telle page ou tel mouvement se trouve ponctuellement en deçà des souvenirs d’écoute importe peu. C’est l’intégrale, sa conception, son mouvement, son envergure, son équilibre, sa dynamique qui emportent l’adhésion. Et que ce Ravel est beau, intense, inventif! De Ma mère l’Oye pour piano à quatre mains, œuvre initiale du premier CD à la Sonate pour violon et violoncelle qui clôt l’ensemble, images colorées, récits fiévreux, rythmes novateurs et savoureux, rêves d’Orient ou souvenirs moins exotiques, paysages scintillants et raffinés, voyages d’une énergique envolée enflamment notre imagination et émerveillent. Les concepteurs de ce programme ne suivent pas l’ordre chronologique de composition qui, besogneux, créerait l’illusion d’un Ravel in progress. Les appariements procèdent d’une logique plus secrète, un peu à l’image de celle qui a présidé à la constitution de l’Ensemble Sésame lui-même au gré des rencontres, des affinités, des pulsions, des coups de cœur. A l’origine quatuor, puis quintette, aujourd’hui pour cette première discographique, élargi fugacement à un flûtiste, un clarinettiste, une harpe, le groupe d’amis parcourt l’œuvre de chambre du compositeur français avec un appétit gourmand, une exigence de gourmet, une alacrité qui n’exclut pas la rigueur stylistique. Traçons un chemin buissonnier à travers cette exubérante fête sonore. De Ma Mère l’Oye nous entendons la partition originale (1910) pour piano à quatre mains, celles de Barbara Giepner et de Julien Le Pape, moins enfantins que mystérieux, féériques. On peut à bon droit faire dialoguer ce climat avec celui qui baigne la Sonate n°1 pour violon et violoncelle de 1922, tout aussi ludique. Dans le premier temps construit «comme un jeu de piste entre enfants» (dixit Michel Sendrez), le tendre violoncelle de Maitane Sebastian croise le chemin d’Ann-Estelle Médouze dont le violon fantasque chante l’insouciance. Se répondent encore deux Sonates pour violon et piano. Dans l’une, «posthume» (1897), le violon raffiné d’Ann-Estelle Médouze dialogue avec Julien Le Pape, confronté pour la seconde (1927) à la virtuosité de Naaman Sluchin. La première, ressuscitée d’on ne sait quelle collection, est celle d’un habile faiseur, servi ici avec probité. L’ultime témoigne du génie d’un compositeur qui allie, non sans humour (le Blues), sinuosité des lignes, sonorités audacieuses, structuration complexe: les deux compères dans le Perpetuum mobile se renvoient la balle avec une habileté et un punch jubilatoires. La date du Trio en la mineur (1914) suffirait à en traduire l’angoisse sous-jacente ou plus prégnante: Naaman Sluchin, Julien Le Pape, et au violoncelle Maitane Sebastian en offrent une lecture anxieuse, d’un outrenoir avant Soulages troué des mêmes traits de lumière. Entre cloches sonne à toute volée, Tzigane et la Rapsodie espagnole vibrent d’intenses frémissements: leur interprétation, profonde et fringante, teinte de noir (encore) les éblouissements d’un musicien captivé par les échos de danses venues d’ailleurs. Le Quatuor à cordes (1903), chef d’œuvre de Ravel, est conforme à nos attentes, miracle de finesse, de grâce, de pudique émerveillement. Soulignons pour la plus rare Introduction et allegro (1905) l’apport précieux d’Aldo Baerten (flûte), Mathieu Steffanus (clarinette), Primor Sluchin (harpe) dans ce septuor sensuel et lumineux à l’élégante fluidité.
L’excellente présentation des œuvres, dense et claire, par le compositeur, pianiste et ici conseiller musical Michel Sendrez, témoigne de sa connaissance intime de l’œuvre de Maurice Ravel. Elle complète à la perfection cet ensemble de très haute tenue qui devient notre nouvelle référence.
Jean Jordy
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Publié le 28/11/2022 à 19:54.