Rita Strohl

Douze Chants de Bilitis
Rita Strohl, Poème en 12 chants extrait des Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs. Marianne Croux, soprano, Anne Bertin-Hugault, piano. CD Hortus.

Quand on songe aux Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs (1894) et à la musique, c’est le nom de Debussy (le cycle de Trois Chansons date de1897) qui vient immédiatement à l’esprit. Non celui de Rita Strohl. La compositrice française méconnue des Noces spirituelles de la Vierge Marie (1903) remporte pourtant un vif succès avec cet ensemble de Douze Chants. «Ces œuvres [note Rita Strohl] écrites entre 1895 et 1898, au fond de ma vieille Bretagne, ne doivent rien qu’à la pensée qu’elles traduisaient; elles ignoraient tout du Debussy naissant». La soprano Marianne Croux et la pianiste Anne Bertin – Hugault en propose le premier enregistrement mondial. Et c’est une belle découverte.
Rita Strohl fait de chaque poème un petit théâtre sentimental et/ou sensuel. La Partie d’osselets, Les Remords, Le Sommeil interrompu, La Nuit en sont de parfaits exemples. Les introductions au piano dessinent le décor ou le climat de la scène à venir (La quenouille) qu’une pointe finale clôt souvent avec esprit ou ironie, parfois plus abruptement. Le poète écrit une prose lyrique, des versets profanes aux rythmes étudiés. Les mélodies en épousent les modulations et la voix en colore les effets dramatiques ou lyriques. Ainsi de la rencontre avec le joueur de flûte dans Lykas, de la fin passionnée de La Quenouille ou du dernier verset des Remords. La Flûte de Pan ou La Chevelure nous paraissent réunir toutes les qualités de la compositrice: compréhension profonde du texte et de ses couleurs, flexibilité de la ligne, toujours au service de la phrase syntaxique, de la voix et de l’expressivité, simplicité, pudeur, naturel, sensualité du climat. Marianne Croux chantent ces mélodies avec clarté et tendresse sans jamais céder à la mièvrerie. D’harmonieux frissons passent dans cette voix au charme indiscutable qui sait nous toucher. La prononciation de la langue français est non seulement irréprochable, mais élégante. On admire notamment la délicatesse des liaisons, toujours périlleuses en français, ici négociées avec un clair souci de l’euphonie. La mélodie intitulée Bilitis quasi a cappella est un bijou de lyrisme où l’on sent une communion fraternelle, sororale, entre le personnage, la musicienne et l’interprète. Le piano d’Anne Bertin-Hugault accompagne Marianne Croux avec l’évidence d’une mission partagée: rendre à Rita Strol sa digne et belle place dans l’histoire du genre. Le rêve frémissant de la Berceuse finale manifeste toute la finesse de son apport harmonieux.
La direction artistique de l’enregistrement a été confiée à Anne Le Bozec dont on sait l’exigence, la curiosité et le talent pour toute interprétation de la mélodie française accompagnée au piano. Notons pour finir une plaisante et amicale singularité. C’est le jeune ténor Kaëlig Boché qui signe la présentation du livret. On le doit sans doute au fait que rien de ce qui intéresse la vie musicale liée à la Bretagne ne lui est étranger.
Un enregistrement trop bref, mais aux qualités musicales précieuses et la révélation d’un talent rare qui mérite large diffusion.

Jean Jordy

Biographie de Rita Strohl
Publié le 15/11/2022 à 11:47.