Olivier Messiaen
Intégrale de l’œuvre pour orgue
Direction artistique Pascal Vigneron. Coffret de 8 CD Forlane.
Ce coffret de 8 CD nous propose d’entendre la totalité de l’œuvre d’orgue d’Olivier Messiaen.
Première belle surprise: 36 organistes ont participé à cet enregistrement, ce qui est en soi déjà remarquable. Mais le plus enthousiasmant est que ce sont des élèves des classes d’orgue de grands conservatoires français et européens. Lorsqu’on se rappelle que Messiaen a consacré une grande partie de sa vie à l’enseignement, on ne peut qu’être certain qu’il aurait apprécié une telle idée et c’est donc en soi un bel hommage au Maître. Plusieurs organistes de renom participent également au projet.
Seconde surprise: l’orgue de la Cathédrale de Toul sur lequel est enregistré cette intégrale. Cet instrument a été restauré en 2016 par Yves Koenig. Doté de 4 claviers et d’un pédalier, il dispose d’une palette sonore qui sert cette musique, osons le dire, de manière idéale. Le facteur d’orgue a réussi à livrer dans cet enregistrement fleuve un instrument toujours impeccable en ce qui concerne l’accord et la prise de son permet d’en saisir tous les reliefs.
Ces préalables étant faits, partons pour ce voyage extraordinaire que nous proposons de détailler en 5 étapes avant l’arrivée à destination.
Première étape: les pièces isolées.
6 pièces indépendantes ouvrent ce vaste voyage musical. On y retrouve des pièces bien connues telles que Apparition de l’église éternelle ou le banquet céleste. Cette ouverture nous fait découvrir la palette sonore de l’orgue de la cathédrale de Toul. Voix céleste splendides, mélanges surprenants, tuttis montrant de la force mais sans aucune agressivité. Cette première étape de conclut par le Verset pour la fête de la Dédicace, œuvre de 1960 dont la modernité du langage tranche avec les pièces précédentes, toutes composées entre 1928 et 1932. Nous voilà mis en condition et déjà avides de découvrir la suite du périple!
Seconde étape: l’Ascension (1933-1934) et la Nativité (1935-1936)
Les 4 pièces de l’Ascension forment le premier cycle de cette œuvre d’orgue. La pièce introductive, qui surprend par son tempo particulièrement lent, nous prend par la main et nous amène dans la méditation. Il en est de même avec la Prière du Christ montant vers son Père: 14 minutes durant lesquelles le temps s’arrête, les voix célestes déployant des nappes sublimes. Les Transports de joie [… ] sont saisissants aussi bien par les tuttis massifs, les graves des Bombardes que par une interprétation précise et acérée des élèves du CNSM de Paris.
La Nativité nous offre ensuite de magnifiques moments de contemplation. Les jeunes interprètes du CRR de Nancy savent à merveille suspendre le temps comme dans Desseins éternels. Les registrations, toujours choisies avec soin, mettent en relief les mélodies comme les grappes d’accords qui ruissellent. Certains tempi peuvent surprendre mais ils servent parfaitement l’écriture et la clarté de l’ensemble est parfaite. La toccata grandiose qui finit la dernière pièce, Dieu parmi nous, conclut le cycle avec brio et éclat.
Troisième étape: Les corps glorieux (1939-1945) et Messe de la Pentecôte (1948-1950)
Avec ces deux œuvres, le langage de Messiaen évolue et intègre des recherches rythmiques plus poussées. Dans Les corps glorieux, les registrations voulues par le compositeur et très bien restituées sur cet instrument par les élèves du CNSM de Lyon nous surprennent et nous amènent vers des sons réellement inouïs. Dans la Messe de la Pentecôte, l’interprétation des élèves du CNSM de Paris permet d’entendre le moindre plan sonore et l’écriture est ainsi sublimée.
Quatrième étape: Le livre d’orgue (1951) et Méditations sur le mystère de la Sainte Trinité (1969)
Dans Le livre d’orgue, Messiaen explore les terres du dodécaphonisme et du sérialisme dont il s’était pourtant jusque-là toujours tenu éloigné. C’est donc un recueil très exigeant qu’ont eu à jouer les élèves du Conservatoire Royal de Bruxelles, et on ne peut que louer leur réussite dans cette entreprise délicate. Les difficultés techniques sont ici encore multipliées dans des pièces en trio ou dans Les yeux dans les roues, si redoutable!
Nous revenons dans le giron du sacré si cher à Messiaen avec les Méditations sur le Mystère de la Sainte Trinité. Encore des pièces exigeantes portées avec exigence et sensibilité par la classe d’orgue du Conservatoire de Saint-Maur et de la Schola Cantorum.
Cinquième étape: Le livre du Saint-Sacrement (1984-1986)
Avec ce dernier cycle pour orgue, Messiaen nous conduit vers un Everest musical: 1h40, 18 pièces qui ont été confiées à des élèves allemands de Stüttgart. Tout ce qui a été dit précédemment se confirme également ici: registrations qui magnifient la musique, interprétations précises qui rendent l’écriture parfaitement intelligible.
Arrivée à destination: Monodie (1963) et Louange à l’éternité de Jésus (1940)
Les deux dernières pièces sont interprétées par Pascal Vigneron, directeur artistique de ce magnifique projet. La Monodie est une modeste pièce composée pour une méthode d’orgue et que l’on entend rarement, c’est donc un plaisir de la découvrir. Enfin, le dernier morceau est une transcription d’un extrait du Quatuor pour la fin du temps. Destiné à l’origine au violoncelle et au piano, c’est le bugle, joué par Clément Saunier, qui joue cette mélodie suspendue hors du temps, accompagné par les discrets accords de l’orgue. On vit alors un moment de félicité, quasiment un moment de grâce.
On ne peut que sortir totalement transporté de l’écoute de ces 8 heures de musique. Ce coffret ouvre grand les portes de l’univers organistique de Messiaen et tous les interprètes, féminins et masculins, ont su créer un travail collectif magnifique.
C’est sans aucun doute un enregistrement qui fera date.
Pierre-Jean Schoen
Ce coffret de 8 CD nous propose d’entendre la totalité de l’œuvre d’orgue d’Olivier Messiaen.
Première belle surprise: 36 organistes ont participé à cet enregistrement, ce qui est en soi déjà remarquable. Mais le plus enthousiasmant est que ce sont des élèves des classes d’orgue de grands conservatoires français et européens. Lorsqu’on se rappelle que Messiaen a consacré une grande partie de sa vie à l’enseignement, on ne peut qu’être certain qu’il aurait apprécié une telle idée et c’est donc en soi un bel hommage au Maître. Plusieurs organistes de renom participent également au projet.
Seconde surprise: l’orgue de la Cathédrale de Toul sur lequel est enregistré cette intégrale. Cet instrument a été restauré en 2016 par Yves Koenig. Doté de 4 claviers et d’un pédalier, il dispose d’une palette sonore qui sert cette musique, osons le dire, de manière idéale. Le facteur d’orgue a réussi à livrer dans cet enregistrement fleuve un instrument toujours impeccable en ce qui concerne l’accord et la prise de son permet d’en saisir tous les reliefs.
Ces préalables étant faits, partons pour ce voyage extraordinaire que nous proposons de détailler en 5 étapes avant l’arrivée à destination.
Première étape: les pièces isolées.
6 pièces indépendantes ouvrent ce vaste voyage musical. On y retrouve des pièces bien connues telles que Apparition de l’église éternelle ou le banquet céleste. Cette ouverture nous fait découvrir la palette sonore de l’orgue de la cathédrale de Toul. Voix céleste splendides, mélanges surprenants, tuttis montrant de la force mais sans aucune agressivité. Cette première étape de conclut par le Verset pour la fête de la Dédicace, œuvre de 1960 dont la modernité du langage tranche avec les pièces précédentes, toutes composées entre 1928 et 1932. Nous voilà mis en condition et déjà avides de découvrir la suite du périple!
Seconde étape: l’Ascension (1933-1934) et la Nativité (1935-1936)
Les 4 pièces de l’Ascension forment le premier cycle de cette œuvre d’orgue. La pièce introductive, qui surprend par son tempo particulièrement lent, nous prend par la main et nous amène dans la méditation. Il en est de même avec la Prière du Christ montant vers son Père: 14 minutes durant lesquelles le temps s’arrête, les voix célestes déployant des nappes sublimes. Les Transports de joie [… ] sont saisissants aussi bien par les tuttis massifs, les graves des Bombardes que par une interprétation précise et acérée des élèves du CNSM de Paris.
La Nativité nous offre ensuite de magnifiques moments de contemplation. Les jeunes interprètes du CRR de Nancy savent à merveille suspendre le temps comme dans Desseins éternels. Les registrations, toujours choisies avec soin, mettent en relief les mélodies comme les grappes d’accords qui ruissellent. Certains tempi peuvent surprendre mais ils servent parfaitement l’écriture et la clarté de l’ensemble est parfaite. La toccata grandiose qui finit la dernière pièce, Dieu parmi nous, conclut le cycle avec brio et éclat.
Troisième étape: Les corps glorieux (1939-1945) et Messe de la Pentecôte (1948-1950)
Avec ces deux œuvres, le langage de Messiaen évolue et intègre des recherches rythmiques plus poussées. Dans Les corps glorieux, les registrations voulues par le compositeur et très bien restituées sur cet instrument par les élèves du CNSM de Lyon nous surprennent et nous amènent vers des sons réellement inouïs. Dans la Messe de la Pentecôte, l’interprétation des élèves du CNSM de Paris permet d’entendre le moindre plan sonore et l’écriture est ainsi sublimée.
Quatrième étape: Le livre d’orgue (1951) et Méditations sur le mystère de la Sainte Trinité (1969)
Dans Le livre d’orgue, Messiaen explore les terres du dodécaphonisme et du sérialisme dont il s’était pourtant jusque-là toujours tenu éloigné. C’est donc un recueil très exigeant qu’ont eu à jouer les élèves du Conservatoire Royal de Bruxelles, et on ne peut que louer leur réussite dans cette entreprise délicate. Les difficultés techniques sont ici encore multipliées dans des pièces en trio ou dans Les yeux dans les roues, si redoutable!
Nous revenons dans le giron du sacré si cher à Messiaen avec les Méditations sur le Mystère de la Sainte Trinité. Encore des pièces exigeantes portées avec exigence et sensibilité par la classe d’orgue du Conservatoire de Saint-Maur et de la Schola Cantorum.
Cinquième étape: Le livre du Saint-Sacrement (1984-1986)
Avec ce dernier cycle pour orgue, Messiaen nous conduit vers un Everest musical: 1h40, 18 pièces qui ont été confiées à des élèves allemands de Stüttgart. Tout ce qui a été dit précédemment se confirme également ici: registrations qui magnifient la musique, interprétations précises qui rendent l’écriture parfaitement intelligible.
Arrivée à destination: Monodie (1963) et Louange à l’éternité de Jésus (1940)
Les deux dernières pièces sont interprétées par Pascal Vigneron, directeur artistique de ce magnifique projet. La Monodie est une modeste pièce composée pour une méthode d’orgue et que l’on entend rarement, c’est donc un plaisir de la découvrir. Enfin, le dernier morceau est une transcription d’un extrait du Quatuor pour la fin du temps. Destiné à l’origine au violoncelle et au piano, c’est le bugle, joué par Clément Saunier, qui joue cette mélodie suspendue hors du temps, accompagné par les discrets accords de l’orgue. On vit alors un moment de félicité, quasiment un moment de grâce.
On ne peut que sortir totalement transporté de l’écoute de ces 8 heures de musique. Ce coffret ouvre grand les portes de l’univers organistique de Messiaen et tous les interprètes, féminins et masculins, ont su créer un travail collectif magnifique.
C’est sans aucun doute un enregistrement qui fera date.
Pierre-Jean Schoen
Publié le 07/11/2022 à 16:09.