Muriel Chemin
Beethoven, Variations Diabelli
Muriel Chemin, piano. CD Odradek.
Nul ne semble prophète en son pays. Muriel Chemin est une grande virtuose française, responsable de deux enregistrements de l’intégrale des sonates de Beethoven, l’une (il y a plus de vingt ans) interrompue, l’autre qui vient de paraître (2022) chez le même éditeur que le présent disque, enregistré lui, en 2016 sur un superbe Steinway. S’attaquer aux monumentales Variations Diabelli demande, au-delà des indispensables qualités techniques, une maturité, une réflexion sur le sens de l’œuvre, une hauteur spirituelle qui seules font les grands interprètes. Muriel Chemin possède tous ces atouts et le démontre brillamment.
Beethoven est maître es variations. Bien de ses œuvres (musique de chambre, sonates pour piano, symphonies) offrent dans leurs mouvements des développements construits sur cette technique de composition. Les 33 Variations sur une valse de Diabelli op. 120 ont été élaborées en plusieurs temps. Le défi sur un matériau aussi simple que la petite danse initiale a d’abord été refusé par Beethoven, puis accepté (1819), relevé avec superbe, dès lors sublimé, puis abandonné, enfin achevé par le compositeur (1823) qui préfère lors de leur publication le terme de «transformations» (Veränderungen ) à celui de «variations». C’est un parcours musical prodigieux qui doit conduire l’interprète de l’exposé du thème matrice d’une grande banalité à sa disparition finale à travers des modifications, mutations ou métamorphoses, pour créer un univers sonore d’une impressionnante diversité. La version proposée par Muriel Chemin s’avère à la fois précise et dynamique, inventive et rigoureuse, libre et réfléchie, toujours complexe, mais claire. On ne saurait analyser ici les parti pris pour telle ou telle de trente-trois variations. Chacun en fonction de ses références, de ses préférences, de ses émotions, sera sensible à une page ou à la suivante. Mais toujours s’expriment une connaissance profonde de l’univers de Beethoven, et une pensée, une conception qui emporte l’adhésion. Il n’est pas jusqu’au temps entre chaque page qui n’acquière ici son poids de sens, respiration ou rupture, pause ou élan, méditation ou appel, silence ou flux. La prise de son rend justice à la riche sonorité d’un instrument puissant, nerveux et au délié de l’interprétation.
Suivons quelques étapes de cet itinéraire ludique, inventif et vertigineux. La marche maestosa de la variation 1 se mue en légèreté espiègle dès la 2 et on admire d’emblée comment le magnifique Steinway, sous les doigts d’une interprète concentrée et libre à la fois, peut de la sorte lui même se métamorphoser, changer de couleur et d’âme. L’Allegro vivace de la 5 chante et danse, et déjà la 6 nuance ce climat en y mêlant un fond de gravité. La neuvième s’amuse avec son cheminement cocasse et ces échos. La dixième s’avère débridée à souhait, vive et cependant tenue. La treizième semble ici jouer à se faire peur, tel l’enfant qui se cache et se découvre: l’art de Muriel Chemin est aussi de faire naître des saynètes, de rendre concrètes des figures que Beethoven et l’interprète n’ont pas imaginées. La variation 14 à l’opposé nous entraîne non sans solennité, dans des mystères plus sombres, rendus par une pâte sonore dense mais sans lourdeur, une palette chromatique variée. Nous sommes subjugués par l’Andante de la 20, le silence entre les notes et leur résonance mystérieuse qui diluent le matériau, le vide si longuement creusé avec la suivante qui explose. Enfin, après l’allègre fugue de la 32, pétrie d’humour, la dernière dont la délicatesse est soulignée par un jeu si élégant.
Muriel Chemin, la quasi inconnue, la méconnue, livre une version accomplie, intègre et lumineuse, sans concession et sans esbroufe, d’un monument de la littérature musicale. Chapeau bas .
Jean Jordy
Écouter un extrait sur YouTube
Nul ne semble prophète en son pays. Muriel Chemin est une grande virtuose française, responsable de deux enregistrements de l’intégrale des sonates de Beethoven, l’une (il y a plus de vingt ans) interrompue, l’autre qui vient de paraître (2022) chez le même éditeur que le présent disque, enregistré lui, en 2016 sur un superbe Steinway. S’attaquer aux monumentales Variations Diabelli demande, au-delà des indispensables qualités techniques, une maturité, une réflexion sur le sens de l’œuvre, une hauteur spirituelle qui seules font les grands interprètes. Muriel Chemin possède tous ces atouts et le démontre brillamment.
Beethoven est maître es variations. Bien de ses œuvres (musique de chambre, sonates pour piano, symphonies) offrent dans leurs mouvements des développements construits sur cette technique de composition. Les 33 Variations sur une valse de Diabelli op. 120 ont été élaborées en plusieurs temps. Le défi sur un matériau aussi simple que la petite danse initiale a d’abord été refusé par Beethoven, puis accepté (1819), relevé avec superbe, dès lors sublimé, puis abandonné, enfin achevé par le compositeur (1823) qui préfère lors de leur publication le terme de «transformations» (Veränderungen ) à celui de «variations». C’est un parcours musical prodigieux qui doit conduire l’interprète de l’exposé du thème matrice d’une grande banalité à sa disparition finale à travers des modifications, mutations ou métamorphoses, pour créer un univers sonore d’une impressionnante diversité. La version proposée par Muriel Chemin s’avère à la fois précise et dynamique, inventive et rigoureuse, libre et réfléchie, toujours complexe, mais claire. On ne saurait analyser ici les parti pris pour telle ou telle de trente-trois variations. Chacun en fonction de ses références, de ses préférences, de ses émotions, sera sensible à une page ou à la suivante. Mais toujours s’expriment une connaissance profonde de l’univers de Beethoven, et une pensée, une conception qui emporte l’adhésion. Il n’est pas jusqu’au temps entre chaque page qui n’acquière ici son poids de sens, respiration ou rupture, pause ou élan, méditation ou appel, silence ou flux. La prise de son rend justice à la riche sonorité d’un instrument puissant, nerveux et au délié de l’interprétation.
Suivons quelques étapes de cet itinéraire ludique, inventif et vertigineux. La marche maestosa de la variation 1 se mue en légèreté espiègle dès la 2 et on admire d’emblée comment le magnifique Steinway, sous les doigts d’une interprète concentrée et libre à la fois, peut de la sorte lui même se métamorphoser, changer de couleur et d’âme. L’Allegro vivace de la 5 chante et danse, et déjà la 6 nuance ce climat en y mêlant un fond de gravité. La neuvième s’amuse avec son cheminement cocasse et ces échos. La dixième s’avère débridée à souhait, vive et cependant tenue. La treizième semble ici jouer à se faire peur, tel l’enfant qui se cache et se découvre: l’art de Muriel Chemin est aussi de faire naître des saynètes, de rendre concrètes des figures que Beethoven et l’interprète n’ont pas imaginées. La variation 14 à l’opposé nous entraîne non sans solennité, dans des mystères plus sombres, rendus par une pâte sonore dense mais sans lourdeur, une palette chromatique variée. Nous sommes subjugués par l’Andante de la 20, le silence entre les notes et leur résonance mystérieuse qui diluent le matériau, le vide si longuement creusé avec la suivante qui explose. Enfin, après l’allègre fugue de la 32, pétrie d’humour, la dernière dont la délicatesse est soulignée par un jeu si élégant.
Muriel Chemin, la quasi inconnue, la méconnue, livre une version accomplie, intègre et lumineuse, sans concession et sans esbroufe, d’un monument de la littérature musicale. Chapeau bas .
Jean Jordy
Écouter un extrait sur YouTube
Publié le 31/10/2022 à 12:01, mis à jour le 31/10/2022 à 12:05.