Clément Lefebvre

Ravel
Clément Lefebvre, piano. Ravel, Sonatine, Menuet sur le nom de Haydn, Valses nobles et sentimentales, Menet antique, Pavane pour une infante défunte, Tombeau de Couperin. Clément Lefebvre, piano. CD Evidence classics.

Lauréat du prestigieux Concours Long-Thibaud-Crespin en 2019, Clément Lefebvre frappe un grand coup en enregistrant dès 2018 un CD Ravel Couperin lumineux salué par la critique. Il récidive dans la même veine avec ce Ravel composé avec un tact, une délicatesse, une finesse rares. On peut voir une analogie entre le projet de Ravel dans ces pièces, soumettant des formes passées à l’acuité de la modernité et celui de l’enregistrement: le jeune Clément Lefebvre cisèle en diamantaire les facettes de ces précieuses pierres, les polissant pour en faire miroiter le pur éclat. A l’opposé des grandes sonates postromantiques qui ont cours dans cette époque charnière du début du siècle, la Sonatine initiale épanche la pureté de son eau limpide et fraîche telle une source vivifiante, conduite ici avec aisance, clarté, simplicité, folâtre mais tenue. Encadrant les Valses, les deux Menuets, hommages à une forme codifiée que l’on retrouve dans la première et la dernière œuvre de l’album, apparaissent, sous les doigts du pianiste, comme de ludiques saluts, respectueux mais non dénués d’humour et d’audaces harmoniques. Dans les Valses nobles et sentimentales ouvertes avec quelle détermination, l’interprète ici encore tient son discours sans lâcher la bride. Mais les danses gardent un élan et un rythme contrasté, déroutant parfois, qui dévoile un arrière plan discrètement plus sombre. La brillance et le brio semblent dissimuler d’inquiétantes ombres: Ravel renouvelait la forme en altérant le rythme traditionnel, Lefebvre en revivifie le discours avec des moirures singulières. Dans son jeu en effet, il s’agit bien de faire briller des éclats et des ombres, des brisures nouvelles. La célèbre Pavane s’épanche, noble et élégante, souple et mélancolique: loin d’interprétations appuyées, lourdement signifiantes, le pianiste français en suit les courbes sveltes comme en les caressant. Le Tombeau de Couperin clôt l’album, soulignant sa cohérence. Ravel se tourne à nouveau vers les formes et les modèles du passé pour créer œuvre moderne et originale.
Les doubles croches du Prélude s’égrainent joyeusement, dessinant des ondes sonores circulaires aussi gracieuses que prestes. La Fugue semble à la fois pleurer et rester digne. La Forlane, danse de cour propre à la musique baroque, avance en dandinant son rythme étrangement sautillant. Rigaudon, Menuet et Toccata complètent l’hommage au XVIIIe siècle et à ses danses avec le même goût: l’analyse et la technique de l’interprète font s’épanouir la poésie et l’audace bondissante de cette écriture si savamment raffinée.
L’excellente présentation du livret suit «Ravel sur les pas des danses anciennes». Dans les pas aussi des compositeurs qui ont choisi l’euphémisme, la discrétion, la litote. Le choix du programme et son interprétation font de Clément Lefebvre l’héritier discret mais indispensable de cette lignée de musiciens. Pour notre grand bonheur.

Jean Jordy

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Publié le 10/10/2022 à 10:19.