Voyage avec un violon seul
Agnès Pyka, violon
Voyage avec un violon seul. J-S Bach, Partita 2 BWV 1004, Thierry de Mey, Passacaille et Variations, Aram Khatchaturian, Sonate Monologue. Agnès Pyka, violon. CD Klarthe
Passer, pasear (se promener en espagnol), suivre une passacaille (marche dans la rue, selon l’étymologie d’origine elle aussi espagnole rappelée par l’interprète), voyager, être en balade, suivre son humeur vagabonde, sortir (du confinement, de l’enfermement, des sentiers battus), avec pour seul compagnon confident le violon, tel est le projet de l’album. Et l’auditeur ressent à l’écouter cette énergique pulsion tant sont toniques les œuvres réunies. Agnès Pyka appartient au collectif de musique de chambre Des Équilibres, familier des chemins de traverses et déjà chroniqué ici même lors de la sortie d’un Brahms aujourd’hui fort original. Mais c’est seule que la jeune femme parcourt, violon au vent, son itinéraire buissonnier. En commençant par Jean-Sébastien Bach et l’une de ses Partitas les plus redoutables, la deuxième: c’est dire que le voyage ne sera de tout repos pour l’interprète, tant elle exige maîtrise technique, virtuosité, souplesse et musicalité. La prise de son illumine dès l’Allemande initiale le jeu limpide aux vifs éclats, aux arêtes brillantes d’Agnès Pyka. Toutes les danses chantent. Mais l’exubérance n’est pas de mise. Derrière le brio, la gravité point jusqu’à la monumentale Chaconne et ses soixante trois variations. Elle est attaquée avec détermination pour mener en stratège aguerri(e) une bataille patiemment organisée, planifiée. L’archet devient fleuret, le violon, champ (chant) de riche résonance; les doigts se révèlent véloces , opiniâtres, efficaces. Rien ne tremble, mais tout vibre, tout s’impose avec rigueur, mais aussi avec harmonie. La prouesse technique n’est pas (seulement) sport de combat, mais exercice chorégraphique, ballet, envolée. La promenade lyrique parcourt les siècles et les cultures. Du musicien et cinéaste belge Thierry de Mey, né en 1956, l’interprète a choisi – et les correspondances avec Bach s’imposent – Passacaille et Variations (1993). «Une grande partie de sa production musicale est destinée à la danse et au cinéma» (dixit le livret). La découverte de cette œuvre pour violon est une révélation. Des mouvements très brefs qui dépassent une seule fois 1’30 construisent une partition riche en bonds, sauts, écarts, jaillissement, gambade, tressaillement qui éclatent en couleurs vives tels des tableaux de Jackson Pollock. Comme sur les toiles du peintre américain, dans les réseaux serrés des notes, on retrouve une énergie, un dynamisme, des flamboiements que le violon d’Agnès Pyka anime d’étranges sonorités et de feux multiples: la pièce la plus longue (3’10) ne s’intitule-telle pas Firework ? Nouveau climat avec la Sonate Monologue (1975) d’Aram Khatchaturian. Son titre et son contenu réalisent pleinement le projet de l’album. Un violon solitaire devient la voix d’un «ashuk», chanteur et conteur arménien – nationalité du compositeur – qui exalte les espoirs, les inquiétudes, les douleurs et les joies de son peuple. D’un seul bloc, la longue page varie les rythmes, les couleurs et les émotions. Mais continûment se fait entendre un langage exalté, rude, vaillant, noble qui refuse l’apitoiement et la résignation. Une fois encore l’interprétation exalte avec rigueur ce lyrisme vigoureux et obstiné.
Le voyage exigeant proposé par Agnès Pyka n’a rien d’une déambulation légère. L’album tendu, tenu, impose son intègre cohérence qui doit tout à l’intelligence et à la technique musicales d’une violoniste de haut vol.
Jean Jordy
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Passer, pasear (se promener en espagnol), suivre une passacaille (marche dans la rue, selon l’étymologie d’origine elle aussi espagnole rappelée par l’interprète), voyager, être en balade, suivre son humeur vagabonde, sortir (du confinement, de l’enfermement, des sentiers battus), avec pour seul compagnon confident le violon, tel est le projet de l’album. Et l’auditeur ressent à l’écouter cette énergique pulsion tant sont toniques les œuvres réunies. Agnès Pyka appartient au collectif de musique de chambre Des Équilibres, familier des chemins de traverses et déjà chroniqué ici même lors de la sortie d’un Brahms aujourd’hui fort original. Mais c’est seule que la jeune femme parcourt, violon au vent, son itinéraire buissonnier. En commençant par Jean-Sébastien Bach et l’une de ses Partitas les plus redoutables, la deuxième: c’est dire que le voyage ne sera de tout repos pour l’interprète, tant elle exige maîtrise technique, virtuosité, souplesse et musicalité. La prise de son illumine dès l’Allemande initiale le jeu limpide aux vifs éclats, aux arêtes brillantes d’Agnès Pyka. Toutes les danses chantent. Mais l’exubérance n’est pas de mise. Derrière le brio, la gravité point jusqu’à la monumentale Chaconne et ses soixante trois variations. Elle est attaquée avec détermination pour mener en stratège aguerri(e) une bataille patiemment organisée, planifiée. L’archet devient fleuret, le violon, champ (chant) de riche résonance; les doigts se révèlent véloces , opiniâtres, efficaces. Rien ne tremble, mais tout vibre, tout s’impose avec rigueur, mais aussi avec harmonie. La prouesse technique n’est pas (seulement) sport de combat, mais exercice chorégraphique, ballet, envolée. La promenade lyrique parcourt les siècles et les cultures. Du musicien et cinéaste belge Thierry de Mey, né en 1956, l’interprète a choisi – et les correspondances avec Bach s’imposent – Passacaille et Variations (1993). «Une grande partie de sa production musicale est destinée à la danse et au cinéma» (dixit le livret). La découverte de cette œuvre pour violon est une révélation. Des mouvements très brefs qui dépassent une seule fois 1’30 construisent une partition riche en bonds, sauts, écarts, jaillissement, gambade, tressaillement qui éclatent en couleurs vives tels des tableaux de Jackson Pollock. Comme sur les toiles du peintre américain, dans les réseaux serrés des notes, on retrouve une énergie, un dynamisme, des flamboiements que le violon d’Agnès Pyka anime d’étranges sonorités et de feux multiples: la pièce la plus longue (3’10) ne s’intitule-telle pas Firework ? Nouveau climat avec la Sonate Monologue (1975) d’Aram Khatchaturian. Son titre et son contenu réalisent pleinement le projet de l’album. Un violon solitaire devient la voix d’un «ashuk», chanteur et conteur arménien – nationalité du compositeur – qui exalte les espoirs, les inquiétudes, les douleurs et les joies de son peuple. D’un seul bloc, la longue page varie les rythmes, les couleurs et les émotions. Mais continûment se fait entendre un langage exalté, rude, vaillant, noble qui refuse l’apitoiement et la résignation. Une fois encore l’interprétation exalte avec rigueur ce lyrisme vigoureux et obstiné.
Le voyage exigeant proposé par Agnès Pyka n’a rien d’une déambulation légère. L’album tendu, tenu, impose son intègre cohérence qui doit tout à l’intelligence et à la technique musicales d’une violoniste de haut vol.
Jean Jordy
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Publié le 27/09/2022 à 09:34.