Alice Ferrière
Nuit exquise
Nuit exquise, Mélodies de Irène Poldowski, Debussy, Nadia Boulanger, Richard Strauss, Schumann, Frank, Hahn, Berlioz. Alice Ferrière, mezzo-soprano, Sascha El Mouissi, piano. CD Paraty.
Beaucoup de jeunes interprètes peinent à se faire connaître, à construire des projets, à les mener à bien. Leur site internet, les réseaux sociaux, l’autofinancement de leurs enregistrements, la difficile promotion de leur travail sont autant de bouteilles jetées à la mer: elles ne trouvent pas aisément le rivage, l’accueil que méritent l’énergie, la foi et le talent de ces musiciens. C’est le cas d’Alice Ferrière qui a lancé une souscription pour enregistrer cet album arrivé à bon port. Une seconde vient de voir aboutir un projet discographique centré sur Clara Schumann.
Passons sur le titre - conventionnel et trop fleur bleue - de ce premier essai et écoutons la voix qui nous invite à explorer ces nocturnes lyriques variés. Et choisissons un itinéraire à rebours de l’ordre du CD pour aborder l’Everest du programme conclu par les Nuits d’été de Berlioz. La jeune chanteuse réussit l’ascension avec bonheur. Ne nous référons pas aux illustres devancières et apprécions une interprétation à la diction exemplaire, à la voix souple et veloutée, au lyrisme frais et sans pathos. En 2016 lauréate de l’Académie de musique française de Michel Plasson, Alice Ferrière avoue avoir beaucoup appris de Sophie Koch, le soin apporté à la prononciation, la technique au service de l’expression sensible. Ces leçons portent leur fruit dans le cycle berlozien. Certes, tout n’est pas homogène et réussi. La Villanelle que mène un piano trop mécanique manque de légèreté et de simplicité et la voix révèle quelque acidité ponctuelle. Le Spectre de la rose, pris très lentement, fait mieux valoir le mezzo charnu de l’interprète. Les mélodies sombres, élégiaques ou funèbres du cycle, comme Sur les lagunes ou Absence, convainquent par un engagement dramatique de bon aloi et un timbre aux chaudes couleurs. Même si le piano appliqué de Sascha El Mouissi accentue certains effets, la chanteuse ne passe pas à côté de l’esprit de l’Île inconnue et de son charme ironique. Les quinze titres précédents parcourent un large éventail de musique française et de poésie, de Debussy à César Frank, de Nadia Boulanger à Reynaldo Hahn, de Verlaine à Verhaeren, de Hugo à Gautier. Dès lors, la présence de Strauss et du cycle de Schumann opus 90, justifiée, semble-t-il, par la thématique choisie, dépare la cohérence de l’album qu’on eût préféré esthétiquement plus centré pour apprécier davantage encore la qualité de la prononciation française. De ce florilège nocturne, on retient Le ciel en nuit s’est déplié de Nadia Boulanger pour la beauté du poème, la délicatesse de la mélodie et une interprétation fusionnelle entre voix et instrument qui rendent justice à cette partition discrètement émouvante. On aime encore l’écho au sein du disque entre L’heure exquise d’Irène Poldowski (une jolie découverte) et le même poème de Verlaine mis en musique par Reynaldo Hahn. Le célèbre Clair de lune de Debussy bénéficie d’un accompagnement subtil et de la ductilité d’une voix sensible au vers verlainien. Omettre le Strauss et les Schumann serait injuste: les deux interprètes y manifestent un goût très sûr et savent composer des paysages intérieurs aux climats variés.
Alice Ferrière et son accompagnateur signent un album copieux et exigeant. On loue cette entreprise courageuse qui témoigne d’une prise de risque artistique et d’une ténacité stimulante. Elle témoigne surtout des qualités techniques et sensibles d’interprètes qu’on aimera suivre, tant au concert que sur les scènes lyriques.
Jean Jordy
Beaucoup de jeunes interprètes peinent à se faire connaître, à construire des projets, à les mener à bien. Leur site internet, les réseaux sociaux, l’autofinancement de leurs enregistrements, la difficile promotion de leur travail sont autant de bouteilles jetées à la mer: elles ne trouvent pas aisément le rivage, l’accueil que méritent l’énergie, la foi et le talent de ces musiciens. C’est le cas d’Alice Ferrière qui a lancé une souscription pour enregistrer cet album arrivé à bon port. Une seconde vient de voir aboutir un projet discographique centré sur Clara Schumann.
Passons sur le titre - conventionnel et trop fleur bleue - de ce premier essai et écoutons la voix qui nous invite à explorer ces nocturnes lyriques variés. Et choisissons un itinéraire à rebours de l’ordre du CD pour aborder l’Everest du programme conclu par les Nuits d’été de Berlioz. La jeune chanteuse réussit l’ascension avec bonheur. Ne nous référons pas aux illustres devancières et apprécions une interprétation à la diction exemplaire, à la voix souple et veloutée, au lyrisme frais et sans pathos. En 2016 lauréate de l’Académie de musique française de Michel Plasson, Alice Ferrière avoue avoir beaucoup appris de Sophie Koch, le soin apporté à la prononciation, la technique au service de l’expression sensible. Ces leçons portent leur fruit dans le cycle berlozien. Certes, tout n’est pas homogène et réussi. La Villanelle que mène un piano trop mécanique manque de légèreté et de simplicité et la voix révèle quelque acidité ponctuelle. Le Spectre de la rose, pris très lentement, fait mieux valoir le mezzo charnu de l’interprète. Les mélodies sombres, élégiaques ou funèbres du cycle, comme Sur les lagunes ou Absence, convainquent par un engagement dramatique de bon aloi et un timbre aux chaudes couleurs. Même si le piano appliqué de Sascha El Mouissi accentue certains effets, la chanteuse ne passe pas à côté de l’esprit de l’Île inconnue et de son charme ironique. Les quinze titres précédents parcourent un large éventail de musique française et de poésie, de Debussy à César Frank, de Nadia Boulanger à Reynaldo Hahn, de Verlaine à Verhaeren, de Hugo à Gautier. Dès lors, la présence de Strauss et du cycle de Schumann opus 90, justifiée, semble-t-il, par la thématique choisie, dépare la cohérence de l’album qu’on eût préféré esthétiquement plus centré pour apprécier davantage encore la qualité de la prononciation française. De ce florilège nocturne, on retient Le ciel en nuit s’est déplié de Nadia Boulanger pour la beauté du poème, la délicatesse de la mélodie et une interprétation fusionnelle entre voix et instrument qui rendent justice à cette partition discrètement émouvante. On aime encore l’écho au sein du disque entre L’heure exquise d’Irène Poldowski (une jolie découverte) et le même poème de Verlaine mis en musique par Reynaldo Hahn. Le célèbre Clair de lune de Debussy bénéficie d’un accompagnement subtil et de la ductilité d’une voix sensible au vers verlainien. Omettre le Strauss et les Schumann serait injuste: les deux interprètes y manifestent un goût très sûr et savent composer des paysages intérieurs aux climats variés.
Alice Ferrière et son accompagnateur signent un album copieux et exigeant. On loue cette entreprise courageuse qui témoigne d’une prise de risque artistique et d’une ténacité stimulante. Elle témoigne surtout des qualités techniques et sensibles d’interprètes qu’on aimera suivre, tant au concert que sur les scènes lyriques.
Jean Jordy
Publié le 20/09/2022 à 02:54.