Estelle Revaz et Anaïs Crestin

Inspiration populaire
Estelle Revaz, violoncelle, Anaïs Crestin, piano. Inspiration populaire. Œuvres de de Falla, Janacek, Schumann, Ginastera, Popper. CD Solo Musica.

La liste des compositeurs et des titres suffit à embarquer l’auditeur pour un voyage musical international, des Canziones populares españolas à la Rhapsodie hongroise de Popper, en passant par Janacek, Schumann et Ginastera. L’intitulé de l’album précise l’inspiration populaire de ces chants, contes, récits, tableaux choisis par Estelle Revaz et Anaïs Crestin. L’écoute des Six Chansons populaires espagnoles de Manuel de Falla place d’emblée l’interprétation sous le signe de la délicatesse, de la vivacité et de la distinction. L’arrangement pour violoncelle et piano, un des nombreux que l’œuvre, originellement pour voix et piano, a suscités, donne la primauté et toute sa sensualité au violoncelle: privé du texte des mélodies, on goûte pleinement la quintessence de ces chants issus de toute l’Espagne, la danse de leurs rythmes, la chaleur de leurs couleurs, l’élégance racée de leur balancement. Nulle trace de folklore, mais la pureté d’un dessin, la grâce d’une arabesque, la hardiesse d’une figure de danse. Le conte de fées Pohadka écrit par Janacek pour violoncelle et piano met en scène un prince victime de sortilèges, des princesses qui se métamorphosent, un couple amoureux qui affronte des épreuves. Tout un imaginaire naïf s’anime en trois mouvements mystérieux où les deux instruments enveloppent de volutes gracieuses ou martèlent de crescendos parfois inquiétants les images indistinctes qui affleurent: les interprètes manifestent ici un art de la suggestion qui rend justice à une partition qui raconte moins qu’elle n’évoque. Les Cinq pièces dans le style populaire de Robert Schumann ont ravi Clara qui célèbre leur fraîcheur et leur originalité. On connaît la deuxième, tendre berceuse servie ici avec pudeur et raffinement. Si l’inspiration populaire est marquée par la récurrence des lignes mélodiques et la régularité des rythmes, pianiste et violoncelliste lui confèrent une fois encore une qualité stylistique qui l’élève sans trahir son origine. Alberto Ginastera a composé sa Sonate pour violoncelle et piano en 1979, lors de son exil en Suisse: elle est toute imprégnée des rythmes de son Argentine natale et, nous apprend la notice, de son amour pour son épouse violoncelliste Aurora Natola, qui se réserva le droit exclusif de la jouer jusqu’à sa mort en 2009. Lyrisme du pays natal, lyrisme de l’amour retrouvé se conjuguent pour une partition fiévreuse, vibrante à laquelle le piano enflammé d’Anaïs Crestin et la vivacité tendue d’Estelle Revaz donnent sa densité et sa gravité. Moins introvertie (quoique), plus libre s’avère la dernière page de l’album. La Rhapsodie hongroise de Popper chante et danse, tantôt avec nostalgie, tantôt avec vigueur et une belle énergie jusqu’à un allegro final qui signe la virtuose complicité entre les deux interprètes.
Estelle Revaz et Anaïs Crestin ont construit un programme d’une belle cohérence, vivant et coloré qui, dans la diversité même des pages, trouve ses racines dans des patrimoines nationaux aux accents d’une superbe intensité. Un voyage musical varié, original, inventif et émouvant.

Jean Jordy


Présentation de l’album
Publié le 14/07/2022 à 20:24, mis à jour le 14/07/2022 à 20:26.