Mozart et Reichel
Concerti pour piano et orchestre
Mozart et Reichel. Mozart, Concerto n°23 et 24 pour piano et orchestre. Reichel, Concertino pour piano et orchestre. Christian Chamorel, piano, Orchestre Nexus, direction Guillaume Berney. CD Calliope.
On ne présente pas Mozart. Mais il convient de le faire pour le second musicien que l’album associe dès le titre à son illustre prédécesseur. Bernard Reichel (1901-1992) est un compositeur genevois. Ami de Frank Martin, il a à son actif un catalogue riche de 350 œuvres. Une association et un site (bernardreichel. ch) permettent de mieux connaître la diversité et la qualité d’une création polyvalente. On sait gré au pianiste suisse Christian Chamorel et à ses partenaires de nous offrir son Concertino pour piano et orchestre (1949) dont il analyse dans l’éclairante notice les affinités avec ceux de Mozart enregistrés ici: «Un désir commun de clarté, de concision et de sobriété expressive et une recherche permanente d’équilibre entre soliste et orchestre». Clarté, sobriété, équilibre ne sont - elles pas aussi les qualités dominantes de ces interprétations lumineuses?
Année 1786. Mozart conçoit (entre autres chefs d’œuvre) les deux Concerti pour piano et orchestre n°23 et 24 et Les Noces de Figaro. Même si les trois entrent nécessairement en résonance, peut-on rêver production plus éclectique, plus riche, et d’une aussi égale et géniale qualité? La mélancolie baigne les deux premiers mouvements du n°23 K. 488. De l’élégant Allegro initial sourdent en demi teinte une nostalgie des temps pleinement heureux, la tristesse de l’incomplétude qu’explore avec souplesse la belle cadence. Le deuxième mouvement, en fa-dièse mineur, tonalité unique dans l’œuvre de Mozart, est l’adagio le plus prenant qui soit, interprété avec la pudeur, la tenue qui s’imposent, sans alanguissement excessif, dignement expressif. Dès lors, le rebond du troisième trouve sa nette élasticité pour mieux danser et contrebalancer, si faire se peut, les précédents climats. Entre les Mozart, s’intercale le Concertino de Reichel, que l’équipe suisse de Guillaume Berney directeur artistique et musical de l’Orchestre Nexus et le soliste tiennent ainsi à célébrer. L’œuvre se révèle de dimension modeste (20 minutes, d’où son diminutif), mais pleine d’intérêt. Elle s’ouvre calmement sur la mélodie ténue d’un piano qui cherche sa voie entre les accords mystérieux d’un orchestre chantant, telle une source dans un bois ombragé: modéré et sans lenteur, indique le compositeur, pour suggérer le rythme, «sinueux» selon la notice, de cette douce progression de l’ombre à la lumière. Sans pause, le Lento central ajoute au mystère en dessinant un paysage à la fois noble et grave qui contraste avec la fantaisie d’un final allègre, dynamique et fier. Soliste et orchestre (on notera l’importance et la qualité des vents) sont en osmose pour construire une interprétation raffinée et limpide que le compagnonnage de Mozart n’écrase pas. Le Concerto n°24 K. 491 épanche sa noble fierté – mots que nous avons utilisés pour Reichel – dans un Allegro où l’orchestre, tous pupitres confondus, conquiert une place éminente. Les nuances les plus fines parcourent le Larghetto central: cordes, vents, piano semblent s’y répondre aimablement, en toute légèreté et avancer calmement sans heurt. On aime ici l’apesanteur de cet équilibre subtil entre chaque interprète et l’harmonie qui s’en dégage, dus au juste rythme que choisissent Guillaume Berney et Christian Chamorel. L’Allegretto final brille a contrario par la fraîcheur, la variété (huit variations composent ce rondo), l’inventivité – toujours contrôlée – qui rendent pleinement justice à l’enjouement d’un Mozart en liberté.
Deux chefs-d’œuvre absolus de Mozart, une découverte délicate, un orchestre tendre ou pimpant, un chef, maître souverain du rythme et des couleurs, un pianiste riche en nuances, élégant et profond, voilà décidément un album de très haute qualité. Nexus signifie rencontre: cette appellation prend ici tout son sens.
Jean Jordy
On ne présente pas Mozart. Mais il convient de le faire pour le second musicien que l’album associe dès le titre à son illustre prédécesseur. Bernard Reichel (1901-1992) est un compositeur genevois. Ami de Frank Martin, il a à son actif un catalogue riche de 350 œuvres. Une association et un site (bernardreichel. ch) permettent de mieux connaître la diversité et la qualité d’une création polyvalente. On sait gré au pianiste suisse Christian Chamorel et à ses partenaires de nous offrir son Concertino pour piano et orchestre (1949) dont il analyse dans l’éclairante notice les affinités avec ceux de Mozart enregistrés ici: «Un désir commun de clarté, de concision et de sobriété expressive et une recherche permanente d’équilibre entre soliste et orchestre». Clarté, sobriété, équilibre ne sont - elles pas aussi les qualités dominantes de ces interprétations lumineuses?
Année 1786. Mozart conçoit (entre autres chefs d’œuvre) les deux Concerti pour piano et orchestre n°23 et 24 et Les Noces de Figaro. Même si les trois entrent nécessairement en résonance, peut-on rêver production plus éclectique, plus riche, et d’une aussi égale et géniale qualité? La mélancolie baigne les deux premiers mouvements du n°23 K. 488. De l’élégant Allegro initial sourdent en demi teinte une nostalgie des temps pleinement heureux, la tristesse de l’incomplétude qu’explore avec souplesse la belle cadence. Le deuxième mouvement, en fa-dièse mineur, tonalité unique dans l’œuvre de Mozart, est l’adagio le plus prenant qui soit, interprété avec la pudeur, la tenue qui s’imposent, sans alanguissement excessif, dignement expressif. Dès lors, le rebond du troisième trouve sa nette élasticité pour mieux danser et contrebalancer, si faire se peut, les précédents climats. Entre les Mozart, s’intercale le Concertino de Reichel, que l’équipe suisse de Guillaume Berney directeur artistique et musical de l’Orchestre Nexus et le soliste tiennent ainsi à célébrer. L’œuvre se révèle de dimension modeste (20 minutes, d’où son diminutif), mais pleine d’intérêt. Elle s’ouvre calmement sur la mélodie ténue d’un piano qui cherche sa voie entre les accords mystérieux d’un orchestre chantant, telle une source dans un bois ombragé: modéré et sans lenteur, indique le compositeur, pour suggérer le rythme, «sinueux» selon la notice, de cette douce progression de l’ombre à la lumière. Sans pause, le Lento central ajoute au mystère en dessinant un paysage à la fois noble et grave qui contraste avec la fantaisie d’un final allègre, dynamique et fier. Soliste et orchestre (on notera l’importance et la qualité des vents) sont en osmose pour construire une interprétation raffinée et limpide que le compagnonnage de Mozart n’écrase pas. Le Concerto n°24 K. 491 épanche sa noble fierté – mots que nous avons utilisés pour Reichel – dans un Allegro où l’orchestre, tous pupitres confondus, conquiert une place éminente. Les nuances les plus fines parcourent le Larghetto central: cordes, vents, piano semblent s’y répondre aimablement, en toute légèreté et avancer calmement sans heurt. On aime ici l’apesanteur de cet équilibre subtil entre chaque interprète et l’harmonie qui s’en dégage, dus au juste rythme que choisissent Guillaume Berney et Christian Chamorel. L’Allegretto final brille a contrario par la fraîcheur, la variété (huit variations composent ce rondo), l’inventivité – toujours contrôlée – qui rendent pleinement justice à l’enjouement d’un Mozart en liberté.
Deux chefs-d’œuvre absolus de Mozart, une découverte délicate, un orchestre tendre ou pimpant, un chef, maître souverain du rythme et des couleurs, un pianiste riche en nuances, élégant et profond, voilà décidément un album de très haute qualité. Nexus signifie rencontre: cette appellation prend ici tout son sens.
Jean Jordy
Publié le 16/06/2022 à 13:45, mis à jour le 16/06/2022 à 13:47.