Paris - Théâtre des Abbesses
> 14 avril

Amandine Beyer offre la beauté et la bonté en partage

Toute simple dans une robe cocktail, devant des panneaux mordus de vieil or, son violon à la main, Amandine Beyer s’est présenté au public sans partition, dans une sorte de nudité d’artiste intègre, pour interpréter deux partitas et une sonate pour violon seul de Bach. Le théâtre des Abbesses au pied de la butte Montmartre était plein à craquer et le public ému a retenu son souffle avec respect. Le son sec de la salle a été dominé par la violoniste qui a su en tirer le meilleur parti, même si une telle acoustique est parfois cruelle. Les nuances qu’Amandine Beyer a su creuser sont si infimes du côté du piano que les forte ont semblé particulièrement majestueux. Les couleurs de cet instrument baroque, avec une tenue d’archet si souple et belle sont un véritable enchantement, les sons comme creusés pour recevoir toute l’humaine tendresse. La souplesse du geste qui commence avec des mouvements délicats de poignets avant de saisir l’instrument et se terminent après la dernière note par une geste enlevé, permet un phrasé empli d’arabesques et de torsades qui transforment le son en lumière irradiant dans l’espace au delà du monde sensible. Dans un très beau texte Amandine Beyer avait écrit comme Bach avait de sa main, couché sur ces partitions magiques: sei Solo. Renvoyant le violoniste à sa liberté sans basse continue mais aussi l’artiste et chaque homme à sa solitude existentielle. Le partage de cette musique si sublime en bien des moments a été illuminé par une apparente facilité du geste et le bonheur du sourire et des regards directs de l’artiste vers son public. La technique est suprême et devient un moyen sans ostentation. Ce ne sont pas quelques menues scories qui ont terni l’éclat lumineux de diamant de cette interprétation libérée de la partition. Le rapport si direct de l’artiste avec son public permet à chacun de s’approprier l’humanité débordante de ces pages pour violon seul qui sous d’autres doigts impressionnent comme un monument admirable dont la complexité quasi divine peut rebuter. C’est bien l’une des attentes vis-à-vis des poètes que de nous rendre facile l’accès à l’au-delà. Amandine Beyer est si sure d’elle que son interprétation nous semble naturelle et facile alors que les difficultés de ces pièces sont bien connues. L’andante de la sonate en la mineur BWV 1003, au centre du programme, a été une clef vers le bonheur parfait. Le dialogue de l’artiste avec son violon comme en confidences et celui des cordes entre elles ouvrent un vertige existentiel: violon seul avec une ligne chantée irréelle et soutenu par une corde grave fidèle, mais la solitude est ici comme sublimée. Le final de la partita en ré majeur BWV 1004, cette immense chaconne, qui fait du violon un chanteur harmonique est un feu, une mer, des cieux d’émotions. Elle conclut le concert avec la notion d’absolu devenu perceptible. Cette impression de facilité et d’évidence est unique. La technique se fait oublier sous la liquidité des phrasés. Sonorités, couleurs, nuances infinitésimales, liberté du tempo, sont toutes baroques mais avec quelle rigueur! Amandine Beyer irradie, solaire et humaine à la fois. Le public conquis obtient un bis de Mattheis sans la basse continue… Plus qu’un concert un moment fondateur, révélateur de la transcendance possible par la musique.

L’an prochain dans ce même théâtre des Abbesses, Amandine Beyer donnera l’intégrale des sonates et partitas de Bach en deux concerts. Ce sera un des événements à ne pas manquer. L’enregistrement est disponible et indispensable, mais en concert la générosité et l’humilité de l’artiste en font un moment inoubliable.

Hubert Stoecklin
Publié le 19/04/2012 à 08:56, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.