Liszt / Boulanger

Visions poétiques par l'ensemble Reflets
Photographie par Patrice Nin
Franz Liszt, Trois sonnets de Pétrarque, Romance oubliée, Bénédiction de Dieu dans la solitude. Lili Boulanger, Pièces diverses. Ensemble Reflets, Magali Léger, Marie-Laure Boulanger, Françoise Douchet, Thierry Durand, Clara Strauss. CD Calliope.

Sous le titre très englobant de Visions poétiques, l’ensemble Reflets (formation de chambre à effectif et à instruments variables) met en regard des œuvres de Franz Liszt et de Lili Boulanger. La prééminence du piano et la présence ponctuelle d’autres timbres soulignent davantage cet appariement que la proximité sensible entre les deux compositeurs. Mais l’ensemble s’avère harmonieusement cohérent. La poésie de Pétrarque a irrigué et nourri la littérature et la musique romantiques. Les Trois Sonnets de Pétrarque inclus dans le deuxième des Cahiers de pèlerinage de Liszt en témoignent hautement. Le compositeur veut concevoir «un langage poétique, plus apte peut-être que la poésie elle-même, à expliquer tout ce qui échappe à l’analyse: désirs impérissables, pressentiments infinis!» C’est assez dire combien il faut pour chanter et jouer ces pages une émotion, un lyrisme, un mystère qui demeurent ici en deçà de nos attentes. Peut-être est ce dû à la nouvelle configuration chambriste élaborée par Marie-Laure Boulanger pour piano et flûte ou alto, sans que ces choix artistiques soient explicités et sans qu’on en sente les effets émotionnels. Peut-être la voix flexible de Magali Léger paraît - elle trop aimable, trop claire pour incarner la passion amoureuse de ces véritables lieder, devenus mélodies de salon. A l’image du sonnet I’vidi in terra, totalement convaincant, l’ensemble fait joli, charmant, délicat, mais loin de l’exigence revendiquée par Liszt. La Romance oubliée (émouvant alto de Françoise Douchet) et la Bénédiction de Dieu dans la solitude s’avèrent d’une tout autre élévation spirituelle. On sent dans la Bénédiction Liszt et la pianiste habités par les vers de Lamartine qui ont inspiré cette longue prière, grave et mystérieuse, jouée avec une fervente lenteur: «D’où me vient, ô mon Dieu cette paix qui m’inonde?». Cette dernière évocation lisztienne a-t-elle appelé l’appariement avec Lili Boulanger dont une mélodie sur des paroles de Maeterlinck a peut être prêté son titre à l’ensemble chambriste? Le livret affirme que les deux compositeurs se rapprochent par «une vision esthétique commune empreinte de nostalgie, de lyrisme et d’exaltation profonde». L’œuvre de la française tôt disparue (1893-1918) imprégnée de religiosité et de douleur, forte d’un langage musical original qui doit à beaucoup et n’emprunte à personne, semble aussi happée par la contemplation d’humbles paysages familiers: ils deviennent sous les doigts de Marie-Laure Boulanger harmonies du soir, extases du main. Dans ces partitions, se manifestent lumière et désespoir, déchirement et douceur, sensibilité aiguë à la beauté des choses que l’on va perdre. Les pièces pour piano seul sont belles, mais les dernières avec flûte et violoncelle s’avèrent très émouvantes. D’un matin de printemps, et D’un soir triste, se répondent l’un l’autre tel un diptyque pictural qui explore la vie spirituelle de la jeune croyante pétrie de foi, crucifiée de douleur. Le trio (M-L Boulanger, Thierry Durand, Clara Strauss) s’élève à l’exigence d’expression qui s’impose. Des quatre précédentes œuvres, on retiendra D’un jardin clair lumineux, quasi serein, et un Nocturne en fa# où la flûte de Thierry Durand parvient à équilibrer un piano virtuose prégnant. Le talent de Marie Laure Boulanger s’avère incontestable mais la prise de son et la conception même du disque avec ses arrangements lui confèrent une place éminente, déformant en quelque sorte les Reflets et le subtil accord d’un ensemble chambriste. L’enregistrement impose cependant peu à peu, de Liszt à Lili Boulanger, son climat de sérénité et de trouble, d’ombres et de lumières, délivrant des visions poétiques discrètement touchantes.

Jean Jordy


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Publié le 29/03/2021 à 19:27, mis à jour le 30/03/2021 à 09:37.