Sheku Kanneh-Mason

Sheku joue Elgar
Sheku Kanneh-Mason, violoncelle. London symphony Orchestra, dir Sir Simon Rattle, The Heath Quartet. Elgar, Concerto pour violoncelle, Romance, Nimrod, Œuvres ou arrangements de Bridge, Bloch, Fauré, Klengel. CD Decca.

Un indice ne trompe pas. Sur la pochette, son prénom est imprimé en deux fois plus gros caractères que son nom, quatre fois plus que celui de son prestigieux accompagnateur Sir Simon Rattle. Le violoncelliste en baskets, à 21 ans, est devenu une star dont le premier enregistrement Inspiration en 2018 a battu des records de ventes. Il a joué au mariage de Harry et Meghan et un mensuel musical évoque une Shekumania. Decca lui offre l’opportunité quasi immédiate d’un deuxième album. Marketing exemplaire d’efficacité pour un interprète en effet prodige, prix BBC 2016 du jeune musicien de l’année. Une fois n’est pas coutume, la réputation et la notoriété ne sont pas usurpées. En témoigne son Concerto pour violoncelle d’Elgar, créé en 1919 sous la direction du compositeur par le même London Symphony Orchestra qui perpétue la tradition en la renouvelant brillamment. C’est peu dire que le jeune homme est doué. Nous ne jugerons pas de sa technique, étonnement maîtrisée, mais de ses choix interprétatifs et de l’émotion singulière qu’ils procurent. Ici règnent la pudeur, l’intériorité et la souplesse, une sérénité, une sorte de décontraction qui n’est pas seulement de façade ou de pochette, mais bien celle de ces corps de danseurs athlètes, à la démarche continûment féline. La sonorité ronde impose de bout en bout sa profondeur, son intensité, et sa couleur d’or sombre. L’œuvre clé de l’album, écho de l’enregistrement de référence tant admiré et décisif de Jacqueline du Pré, jouée déjà des dizaines de fois par Sheku Kanneh - Mason, déploie des trésors de sobre intimité et de charme, d’élégiaque et de fluide éloquence. Dans les passages notés allegro, l’auditeur admire le propos dont la légèreté, la vivacité, l’esprit s’accordent à la finesse, voire à la fantaisie d’un compositeur qu’on juge trop souvent pompeux. Certes, le climat d’ensemble du concerto d’Elgar demeure dramatique (Quelle noble et digne entrée en matière! Quel Adagio à la fois expressif et dépouillé!) et le soliste en traduit à merveille la profonde tristesse, la vive quoique discrète émotion, soulignée par un orchestre et un chef captivés par le jeune prodige. Mais c’est bien son jeu, son approche même qui induisent cette sensation de facilité et d’élégante élasticité. Deux autres pièces de Sir Edward Elgar, dont le poignant et célèbre Nimrod, contribuent à l’hommage au compositeur britannique. Le diversifient des arrangements joués comme au débotté, entre soi, par Sheku et ses amis dans une atmosphère sympathique de complicité, sans que jamais l’exigence technique soit sacrifiée au plaisir de la rencontre, sorte de schubertiade moderne du meilleur aloi. L’ensemble de l’album bénéficie d’une sonorité chaude qui dore celle du violoncelle. Et on aime que le livret d’accompagnement laisse largement la parole à l’interprète qui sait exprimer ses émotions, ses souvenirs, sa conception des œuvres, librement, avec tact et simplicité, complétant ainsi le portrait chaleureux d’un jeune homme à la fois grave et serein et d’un violoncelliste de grande classe. Plus que prometteur. L’éclat de l’évidence.

Jean Jordy

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Publié le 09/06/2020 à 20:15, mis à jour le 12/01/2022 à 21:50.