Motets napolitains
Anthea Pichanick, contralto
Motets napolitains. Œuvres de Leo, Scarlatti, Porpora. Anthea Pichanick, contralto, Les Accents, Thibault Noally, direction. CD La Musica. 66’03
Anthea Pichanick est une jeune contralto française, spécialiste de musique baroque. Couronnée au Concours Cesti d’Innsbruck en 2015, elle a chanté sous la direction d’Hervé Niquet, Vincent Dumestre, Jean-Cristhophe Spinosi, Marc Minkowski ou Emiliano Gonzales Toro dont elle était la Messaggiera dans le récent Orfeo toulousain. Pour ce premier disque, signe d’exigence et d’excellence, elle retrouve des partenaires familiers, l’harmonieux ensemble Les Accents, placé sous la direction de son chef fondateur Thibault Noally. Au programme, des motets de quatre compositeurs italiens du XVIII° siècle, dont en premier enregistrement mondial une œuvre signée Leonardo Leo (1694-1744). Ce Turbido caelo mare furentes initial permet de découvrir le timbre séduisant de la jeune contralto. On évoque souvent le velours pour rendre compte d’une voix souple et duveteuse. Ses qualités appartiennent à celle d’Anthea Pichanick; mais il convient d’y ajouter la couleur, ambrée, voire la saveur, fruitée. L’ardeur de ce tableau tempétueux du cœur tourmenté, topos du style baroque, qui s’oppose à la sérénité de la clémence espérée, fait valoir la vigueur d’une interprète engagée dont la voix flexible fuit deux extrêmes, la virtuosité froide et la théâtralité surjouée, en plein accord avec un compositeur économe de ses effets. Fervent et pénétré, Totus amore languens d’Alessandro Scarlatti (1660-1725) joue des contrastes entre la délectation extatique d’une âme enflammée par son approche de Dieu, la joie enivrée de la découverte ou le refus des vanités terrestres. Qu’on écoute, plages 7 et 8, le récitatif et le Non manne dulcedo, d’une douceur de caresse. On apprécie le constant équilibre de l’expressivité, le refus d’accentuer les oppositions ou la sensation. Nous ne sommes jamais dans un théâtre, mais dans un for intérieur, lieu d’intimité où l’être sans obstacle et sans frein laisse monter au cœur et aux lèvres ses émotions les plus sensibles. Combien la voix sait ici assortir les mots, les notes à une respiration intérieure, une pulsation vitale qui font le prix de l’interprétation. On retrouve les mêmes choix interprétatifs dans le motet De tenebro lacu du dit compositeur, père de Domenico. Cette plainte montant des profondeurs de la déréliction se mue en chaude exhortation à prier pour les âmes abandonnées. Orchestre de chambre et voix conjuguent leurs chants fraternels dans un paisible et lumineux élan de commisération. Le plus extérieur Regina caeli de Porpora permet à la contralto d’exulter dans ce chant de gloire au Ressuscité étincelant d’Alléluia virtuoses et de manifester ainsi sa maîtrise technique des vocalises les plus souples. Il faudrait éprouver sur la scène, au théâtre ou en concert, la puissance de cette voix pour en apprécier pleinement la portée et l’efficacité dramatique. Mais le disque, superbement enregistré, permet de mesurer la tenue du souffle, la clarté de l’élocution, le charme de la technique, la juste pesée de l’émotion, l’égalité des registres, et le naturel, ce mélange rare de simplicité et d’intelligence musicales, comme si la voix coulait de source pure et tranquille. Vifs ou tendres, les Accents sonnent toujours clair et lumineux, rond et net, sans les acidités et les rugosités qu’on retrouve parfois dans les ensembles baroques.
Dans sa très informée notice, Patrick Barbier, historien de la musique, rappelle combien Naples a été un des plus importants foyers de formation, d’apprentissage, de création et de diffusion musicaux de l’âge baroque. Les trois compositeurs réunis ont tous été associés à cette ville dont l’enregistrement célèbre le rayonnement à travers l’art du motet à une voix avec accompagnement instrumental. Les Accents et Anthea Pichanick – retenez bien son nom – sont aujourd’hui les hérauts les plus vibrants de cet art et de son émouvante tradition.
Jean Jordy
Écouter l’artiste sur YouTube:
Enr. France Musique du 25 mai 2019
Anthea Pichanick est une jeune contralto française, spécialiste de musique baroque. Couronnée au Concours Cesti d’Innsbruck en 2015, elle a chanté sous la direction d’Hervé Niquet, Vincent Dumestre, Jean-Cristhophe Spinosi, Marc Minkowski ou Emiliano Gonzales Toro dont elle était la Messaggiera dans le récent Orfeo toulousain. Pour ce premier disque, signe d’exigence et d’excellence, elle retrouve des partenaires familiers, l’harmonieux ensemble Les Accents, placé sous la direction de son chef fondateur Thibault Noally. Au programme, des motets de quatre compositeurs italiens du XVIII° siècle, dont en premier enregistrement mondial une œuvre signée Leonardo Leo (1694-1744). Ce Turbido caelo mare furentes initial permet de découvrir le timbre séduisant de la jeune contralto. On évoque souvent le velours pour rendre compte d’une voix souple et duveteuse. Ses qualités appartiennent à celle d’Anthea Pichanick; mais il convient d’y ajouter la couleur, ambrée, voire la saveur, fruitée. L’ardeur de ce tableau tempétueux du cœur tourmenté, topos du style baroque, qui s’oppose à la sérénité de la clémence espérée, fait valoir la vigueur d’une interprète engagée dont la voix flexible fuit deux extrêmes, la virtuosité froide et la théâtralité surjouée, en plein accord avec un compositeur économe de ses effets. Fervent et pénétré, Totus amore languens d’Alessandro Scarlatti (1660-1725) joue des contrastes entre la délectation extatique d’une âme enflammée par son approche de Dieu, la joie enivrée de la découverte ou le refus des vanités terrestres. Qu’on écoute, plages 7 et 8, le récitatif et le Non manne dulcedo, d’une douceur de caresse. On apprécie le constant équilibre de l’expressivité, le refus d’accentuer les oppositions ou la sensation. Nous ne sommes jamais dans un théâtre, mais dans un for intérieur, lieu d’intimité où l’être sans obstacle et sans frein laisse monter au cœur et aux lèvres ses émotions les plus sensibles. Combien la voix sait ici assortir les mots, les notes à une respiration intérieure, une pulsation vitale qui font le prix de l’interprétation. On retrouve les mêmes choix interprétatifs dans le motet De tenebro lacu du dit compositeur, père de Domenico. Cette plainte montant des profondeurs de la déréliction se mue en chaude exhortation à prier pour les âmes abandonnées. Orchestre de chambre et voix conjuguent leurs chants fraternels dans un paisible et lumineux élan de commisération. Le plus extérieur Regina caeli de Porpora permet à la contralto d’exulter dans ce chant de gloire au Ressuscité étincelant d’Alléluia virtuoses et de manifester ainsi sa maîtrise technique des vocalises les plus souples. Il faudrait éprouver sur la scène, au théâtre ou en concert, la puissance de cette voix pour en apprécier pleinement la portée et l’efficacité dramatique. Mais le disque, superbement enregistré, permet de mesurer la tenue du souffle, la clarté de l’élocution, le charme de la technique, la juste pesée de l’émotion, l’égalité des registres, et le naturel, ce mélange rare de simplicité et d’intelligence musicales, comme si la voix coulait de source pure et tranquille. Vifs ou tendres, les Accents sonnent toujours clair et lumineux, rond et net, sans les acidités et les rugosités qu’on retrouve parfois dans les ensembles baroques.
Dans sa très informée notice, Patrick Barbier, historien de la musique, rappelle combien Naples a été un des plus importants foyers de formation, d’apprentissage, de création et de diffusion musicaux de l’âge baroque. Les trois compositeurs réunis ont tous été associés à cette ville dont l’enregistrement célèbre le rayonnement à travers l’art du motet à une voix avec accompagnement instrumental. Les Accents et Anthea Pichanick – retenez bien son nom – sont aujourd’hui les hérauts les plus vibrants de cet art et de son émouvante tradition.
Jean Jordy
Écouter l’artiste sur YouTube:
Enr. France Musique du 25 mai 2019
Publié le 26/05/2020 à 20:03, mis à jour le 12/01/2022 à 21:50.