Aylen Pritchin
Pièces pour violon seul
Aylen Pritchin, violon. Pièces pour violon. Sonates de Prokofiev, Bartók, Honegger. Tema con 8 variazioni de Jean Françaix. CD Ad Vitam Records, 66’52 ’’.
Premier prix du prestigieux Concours Long-Thibaud-Crespin en 2014, le violoniste russe Aylen Pritchin, distingué dans bien d’autres compétitions, poursuit une carrière de soliste et de concertiste exigeante. Dans cet enregistrement, il propose quatre pièces pour violon seul de compositeurs du XXe siècle, judicieusement confrontées pour exalter les pouvoirs d’évocation singuliers de l’instrument. La Sonate op. 115 en ré Majeur de Prokofiev (1947) voit dans un premier temps Moderato, enjoué mais ici abordé sans précipitation, les échos rythmiques de Partitas de Bach alterner avec des moments lyriques qu’épanche le violon chantant d’Aylen Pritchin. Le thème initial du deuxième, Andante dolce, est suivi de cinq variations aux rythmes marqués dont un Scherzando allant et une pénultième virtuose qui dans son flux musical se souvient encore de Bach. L’impression de joie et d’entrain demeure qu’amplifie le troisième mouvement Con brio: la mazurka saute, danse, respire et sourit, avec une forme d’espièglerie et d’insouciance auxquelles le violoniste confère une revigorante vitalité. Même si on peut trouver des correspondances entre les deux œuvres (références à Bach, échos de musique populaire, moments de virtuosité), la Sonate de Béla Bartók (1944), deux fois plus ample, offre un contraste puissant avec celle de Prokofiev. Bien plus sombre, âpre, elle recèle des difficultés inouïes: la seule vision de la partition impressionne le néophyte. Son dédicataire et créateur Yehudi Menuhin dit du mouvement noté Fuga: «C’est peut-être la musique la plus agressive, la plus brutale que j’ai jamais jouée». Elle requiert de l’interprète non seulement une maîtrise technique d’acier, mais aussi une souplesse de la ligne et l’art de faire chanter la douleur. Aylen Pritchin sait en déjouer tous les écueils. Le Tempo di Ciaccona initial est loin de l’esprit et du registre des chaconnes baroques. Rude, escarpé, austère, il impose au violon le soin de dire à la fois le désespoir prégnant et l’énergie de le combattre. Seuls les deux derniers mouvements desserrent l’étau pour des moments plus apaisés (envoûtante Melodia), voire in fine dansants (Presto, inversé dans le titre des plages 6 et 7 sur le CD). De Jean Françaix (1912-1997), le récital offre le premier enregistrement discographique de Tema con 8 variazioni per violino solo (1980). Réputé avoir été de son vivant le musicien français le plus joué au monde, le compositeur entre autres de multiples musiques de films livre là une pièce qu’on a envie de sous-titrer Humoresque. Vive, lumineuse, incessamment en mouvement, tel un acteur facétieux de comédie italienne, toujours fraîche, inventive et raffinée, elle bénéficie d’une interprétation pleine d’esprit. La Sonate pour violon seul H 143 en ré mineur d’Arthur Honegger (1940) s’avère conforme aux choix esthétiques du compositeur suisse exprimés vingt ans plus tôt: «Je n’ai pas le culte de la foire, ni du music-hall, mais au contraire celui de la musique de chambre et de la musique symphonique dans ce qu’elle a de plus grave et de plus austère. » Le violoniste russe en dégage toute la force expressive, austère et grave en effet, digne et noble.
Loin des récitals convenus et des répertoires flatteurs, Aylen Pritchin signe un disque sans concession, rigoureux et virtuose à la fois, aux climats variés, ordonnant les pièces avec une grande finesse musicale. Toujours y excelle un interprète sensible et conquérant.
Jean Jordy
Premier prix du prestigieux Concours Long-Thibaud-Crespin en 2014, le violoniste russe Aylen Pritchin, distingué dans bien d’autres compétitions, poursuit une carrière de soliste et de concertiste exigeante. Dans cet enregistrement, il propose quatre pièces pour violon seul de compositeurs du XXe siècle, judicieusement confrontées pour exalter les pouvoirs d’évocation singuliers de l’instrument. La Sonate op. 115 en ré Majeur de Prokofiev (1947) voit dans un premier temps Moderato, enjoué mais ici abordé sans précipitation, les échos rythmiques de Partitas de Bach alterner avec des moments lyriques qu’épanche le violon chantant d’Aylen Pritchin. Le thème initial du deuxième, Andante dolce, est suivi de cinq variations aux rythmes marqués dont un Scherzando allant et une pénultième virtuose qui dans son flux musical se souvient encore de Bach. L’impression de joie et d’entrain demeure qu’amplifie le troisième mouvement Con brio: la mazurka saute, danse, respire et sourit, avec une forme d’espièglerie et d’insouciance auxquelles le violoniste confère une revigorante vitalité. Même si on peut trouver des correspondances entre les deux œuvres (références à Bach, échos de musique populaire, moments de virtuosité), la Sonate de Béla Bartók (1944), deux fois plus ample, offre un contraste puissant avec celle de Prokofiev. Bien plus sombre, âpre, elle recèle des difficultés inouïes: la seule vision de la partition impressionne le néophyte. Son dédicataire et créateur Yehudi Menuhin dit du mouvement noté Fuga: «C’est peut-être la musique la plus agressive, la plus brutale que j’ai jamais jouée». Elle requiert de l’interprète non seulement une maîtrise technique d’acier, mais aussi une souplesse de la ligne et l’art de faire chanter la douleur. Aylen Pritchin sait en déjouer tous les écueils. Le Tempo di Ciaccona initial est loin de l’esprit et du registre des chaconnes baroques. Rude, escarpé, austère, il impose au violon le soin de dire à la fois le désespoir prégnant et l’énergie de le combattre. Seuls les deux derniers mouvements desserrent l’étau pour des moments plus apaisés (envoûtante Melodia), voire in fine dansants (Presto, inversé dans le titre des plages 6 et 7 sur le CD). De Jean Françaix (1912-1997), le récital offre le premier enregistrement discographique de Tema con 8 variazioni per violino solo (1980). Réputé avoir été de son vivant le musicien français le plus joué au monde, le compositeur entre autres de multiples musiques de films livre là une pièce qu’on a envie de sous-titrer Humoresque. Vive, lumineuse, incessamment en mouvement, tel un acteur facétieux de comédie italienne, toujours fraîche, inventive et raffinée, elle bénéficie d’une interprétation pleine d’esprit. La Sonate pour violon seul H 143 en ré mineur d’Arthur Honegger (1940) s’avère conforme aux choix esthétiques du compositeur suisse exprimés vingt ans plus tôt: «Je n’ai pas le culte de la foire, ni du music-hall, mais au contraire celui de la musique de chambre et de la musique symphonique dans ce qu’elle a de plus grave et de plus austère. » Le violoniste russe en dégage toute la force expressive, austère et grave en effet, digne et noble.
Loin des récitals convenus et des répertoires flatteurs, Aylen Pritchin signe un disque sans concession, rigoureux et virtuose à la fois, aux climats variés, ordonnant les pièces avec une grande finesse musicale. Toujours y excelle un interprète sensible et conquérant.
Jean Jordy
Publié le 05/05/2020 à 17:18, mis à jour le 12/01/2022 à 21:50.