Praeludio, Préludes et Ricercari

Patrick Langot, violoncelle
Praeludio, Préludes et Ricercari. Œuvres pour violoncelle de Domenico Gabrielli, Sofia Gubaidulina, Benoît Menut, Jean-Sébastien Bach. CD Klarthe Records.

Voici un album dont la conception s’avoue et s’avère très élaborée. Préluder en musique c’est à la fois préparer l’instrument et l’auditeur à ce qui suivra et improviser finement, souvent avec virtuosité. Préludes et Ricercari (Recherches en français) apparaissent ici extraits en quelque sorte de leur contexte de composition et ces hors d’œuvre au sens propre et figuré se retrouvent tour à tour proposés en continuité (Bach) ou en alternance avec d’autres pièces qui les prolongent (Gabrielli). Ainsi ses Ricorceri sont-ils assortis d’Études contemporaines de Sofia Gubaidulina; et un Postlude de Benoît Menut né en 1977 sert d’ouverture, spécifiquement conçue pour le disque, aux préludes des Suites pour violoncelle de Bach. Ces mises en regard, ces jeux de miroirs sonores convainquent-ils l’auditeur? Le pouvoir de séduction des instruments, anciens ou modernes, joués par Patrick Langot est réel et la richesse des sonorités incontestable. Mais le couplage audacieux, notamment avec les Préludes de la compositrice Sofia Gubaidulina, ne séduit pas toujours, même s’il réserve des beaux moments musicaux. On ne confondra pas Domenico Gabrielli (1659 – 1690) avec son homonyme vénitien Giovanni (1557 – 1612). C’est à Bologne, en 1689, que, pionnier en ce domaine, Domenico, brillant interprète, compose ses Sept Ricercari pour violoncelle seul (1689), donnant à l’instrument droit de cité à part entière. Patrick Langot les joue dans un savant désordre, débutant la série par le dernier 7°en ré, grave et mystérieux, d’une grande beauté sonore. Le violoncelle baroque à cinq cordes qu’il réserve souvent au musicien italien date de… 2011. Ce chaleureux mariage confère à ces compositions une couleur veloutée et miroitante de basse profonde et une résonance sensuelle. Ainsi du deuxième Ricercar en la, (redoutablement virtuose) ou du quatrième en mi bémol, qui n’apparaissent pas seulement comme des recherches formelles et des explorations techniques , mais comme des épanchements au lyrisme discret savamment distillé. A cette aune, les Préludes de la musicienne russe (1974) apparaissent plus techniques cherchant à exploiter les possibilités multiples de l’instrument – staccato, legato, con sordino indiquent ces trois premières études – dont elle tire des effets surprenants, tantôt enveloppants, tantôt plus rudes. La composition de Benoît Menut instaure une complicité mystérieuse avec le violoncelle qu’on cherche moins à dompter qu’à caresser, apprivoiser. Et cette approche amicale, affectueuse sait nous toucher. Détachés de leurs Suites familières, les six Préludes de Bach étonnent d’abord, puis intéressent par les correspondances qui se construisent entre eux, séduisent enfin par le jeu franc, dépouillé et cependant fervent de Patrick Langot.
Par delà les audaces de son organisation originale, on perçoit dans cet enregistrement un projet ambitieux mariant avec intelligence les sensibilités musicales anciennes et contemporaines, faisant jouer les échos intertextuels, hommages, empreintes, prolongements, vibrations, ricochets (selon le beau terme de la huitième plage) qui tous rendent hommage à un instrument aux bouleversantes vibrations. Et Patrick Langot en est le fervent héraut, à la fois rigoureux et inventif.

Jean Jordy


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Publié le 30/03/2020 à 22:00, mis à jour le 12/01/2022 à 21:50.