Mieczyslaw Weinberg
Chamber music
Mieczyslaw Weinberg, Trois pièces pour violon et piano, Trio pour piano, violon et violoncelle, Sonate pour violon et piano. Gidon Kremer, violon, Yulianna Avdeeva, piano, Giedre Dirvanauskaité, violoncelle. CD DG
Le centenaire de la naissance de Mieczyslaw Weinberg, né le 9 décembre 1919 à Varsovie, exilé en URSS à 20 ans, mort à Moscou le 26 février 1996, n’a pas donné lieu, semble-t-il, à un surcroît de reconnaissance et à un flot accru de parutions discographiques. Ce grand ami de Chostakovitch, parfois son épigone, demeure le plus méconnu des grands compositeurs russes du XXe siècle. Son œuvre est cependant très riche (plus de 150 opus, dont un poignant opéra La Passagère, créé en… 2010), jouée par les plus grands (Rostropovitch, Oïstrakh, Kogan, Kondrachine… ) et non dénuée d’une austère grandeur tragique. On salue avec d’autant plus de plaisir la sortie sous le célèbre label jaune de ces pièces de musique de chambre, autour du violon de Gidon Kremer qui a déjà gravé et défendu en concert maintes œuvres de Weinberg, Il les empoigne ici à bras le corps, insufflant avec ses consœurs une dynamique, une énergie, une intensité qui étonnent l’auditeur pris par cette musique plus inventive qu’on ne le dit. Des Trois Pièces pour violon et piano, l’ultime page s’avère la plus originale. Sous titrée étrangement Le Rêve (au sujet) d’une poupée, elle apparaît âprement mélancolique, comme égarée dans un univers fantomatique où surgissent les sons comme des ombres, douces ou moins amènes. Loin de s’épouser, les deux instruments opposent aux ruissellements fragiles du piano les insistances d’un violon à l’amère noirceur. Y verra-t-on, comme la notice le suggère, la sombre prémonition de l’holocauste dont fut victime la famille du compositeur, ou la tension au cœur de son œuvre entre pulsions de vie, soif de beauté et sourde inquiétude? Les motifs de l’angoisse de la perte, le sens du tragique se retrouvent pleinement dans le puissant Trio écrit en 1945. On retiendra particulièrement les deux derniers des quatre mouvements, un Poème, halluciné, hagard mais obstiné, et un Finale dont la charge émotionnelle se résout dans un silence vide de sens. Dans cette œuvre grave, les trois partenaires ne se défont jamais de la recherche de l’harmonie, d’un son plein sans rugosité, de l’expression lyrique d’une douleur qui semble parfois espérer une ironique consolation dans les réminiscences de lointains chants populaires. L’exécution de cette œuvre requiert des interprètes une virtuosité technique exceptionnelle et une conception partagée du discours qui s’avèrent ici pleinement abouties. Le jeu vigoureux, net, presque abrupt de Gidon Kremer introduit la Sonate pour violon et piano n°6 avant que le pianopercussif d’Yulianna Avdeeva ne le défie dans un mouvement compulsif opiniâtre. Rares émergent dans cette œuvre sans joliesse les moments d’apaisement: tout ou presque y est brut, rude. L’espoir et la joie semblent minés de l’intérieur, rongés par un mal noir que les deux interprètes portent sévèrement, mais dignement.
Voici un enregistrement exigeant, superbement investi par trois partenaires engagés dans le même souci de rendre justice à un compositeur majeur, victime d’une production surabondante et de sa proximité avec Chostakovitch, mais dont ne peut nier l’inspiration singulière et la force.
Notice de présentation en anglais et allemand seulement.
Jean Jordy
Le centenaire de la naissance de Mieczyslaw Weinberg, né le 9 décembre 1919 à Varsovie, exilé en URSS à 20 ans, mort à Moscou le 26 février 1996, n’a pas donné lieu, semble-t-il, à un surcroît de reconnaissance et à un flot accru de parutions discographiques. Ce grand ami de Chostakovitch, parfois son épigone, demeure le plus méconnu des grands compositeurs russes du XXe siècle. Son œuvre est cependant très riche (plus de 150 opus, dont un poignant opéra La Passagère, créé en… 2010), jouée par les plus grands (Rostropovitch, Oïstrakh, Kogan, Kondrachine… ) et non dénuée d’une austère grandeur tragique. On salue avec d’autant plus de plaisir la sortie sous le célèbre label jaune de ces pièces de musique de chambre, autour du violon de Gidon Kremer qui a déjà gravé et défendu en concert maintes œuvres de Weinberg, Il les empoigne ici à bras le corps, insufflant avec ses consœurs une dynamique, une énergie, une intensité qui étonnent l’auditeur pris par cette musique plus inventive qu’on ne le dit. Des Trois Pièces pour violon et piano, l’ultime page s’avère la plus originale. Sous titrée étrangement Le Rêve (au sujet) d’une poupée, elle apparaît âprement mélancolique, comme égarée dans un univers fantomatique où surgissent les sons comme des ombres, douces ou moins amènes. Loin de s’épouser, les deux instruments opposent aux ruissellements fragiles du piano les insistances d’un violon à l’amère noirceur. Y verra-t-on, comme la notice le suggère, la sombre prémonition de l’holocauste dont fut victime la famille du compositeur, ou la tension au cœur de son œuvre entre pulsions de vie, soif de beauté et sourde inquiétude? Les motifs de l’angoisse de la perte, le sens du tragique se retrouvent pleinement dans le puissant Trio écrit en 1945. On retiendra particulièrement les deux derniers des quatre mouvements, un Poème, halluciné, hagard mais obstiné, et un Finale dont la charge émotionnelle se résout dans un silence vide de sens. Dans cette œuvre grave, les trois partenaires ne se défont jamais de la recherche de l’harmonie, d’un son plein sans rugosité, de l’expression lyrique d’une douleur qui semble parfois espérer une ironique consolation dans les réminiscences de lointains chants populaires. L’exécution de cette œuvre requiert des interprètes une virtuosité technique exceptionnelle et une conception partagée du discours qui s’avèrent ici pleinement abouties. Le jeu vigoureux, net, presque abrupt de Gidon Kremer introduit la Sonate pour violon et piano n°6 avant que le pianopercussif d’Yulianna Avdeeva ne le défie dans un mouvement compulsif opiniâtre. Rares émergent dans cette œuvre sans joliesse les moments d’apaisement: tout ou presque y est brut, rude. L’espoir et la joie semblent minés de l’intérieur, rongés par un mal noir que les deux interprètes portent sévèrement, mais dignement.
Voici un enregistrement exigeant, superbement investi par trois partenaires engagés dans le même souci de rendre justice à un compositeur majeur, victime d’une production surabondante et de sa proximité avec Chostakovitch, mais dont ne peut nier l’inspiration singulière et la force.
Notice de présentation en anglais et allemand seulement.
Jean Jordy
Publié le 15/12/2019 à 18:57, mis à jour le 09/09/2021 à 19:45.