Chapelle des Carmélites
> 1er septembre

Préludes poétiques

Cyril Guillotin, François Marthouret
Photographies par J-J. Ader
Deux hommes vêtus identiquement de toile blanche légère, chapeau de paille, l’un jeune, l’autre plus âgé, prennent place, l’un au piano, l’autre sur une chaise longue en rotin. L’été bat son plein; le bruit des vagues, le chant des oiseaux bercent cette fin d’après midi de douce quiétude. Prestement, comme souriant de cette étourdie, ils échangent leur place: l’homme âgé prend possession de la chaise, le plus jeune du piano. Le décor est planté, le climat s’esquisse, de confiance, d’échanges complices, élégant et feutré. Le concert à deux voix peut commencer. Cyril Guillotin impose d’emblée les calmes accords des Danseuses de Delphes, premier des Préludes du Livre I de Debussy; et François Marthouret énoncera les premiers vers des Soleils couchants de Hugo. Une heure durant, le piano juvénile et le baryton plus étouffé de l’acteur dialogueront, se superposeront parfois – et on regrettera ce double et indiscret irrespect des mélodies conjointes - , suggérant une complicité entre un père et son fils, un sage et son disciple, une amitié entre les mélodies de l’un et les vers de l’autre, les échos qu’engendre chacun des deux arts. Il serait un peu vain de remettre en cause le choix de tel ou tel texte, tant l’appariement entre un prélude musical et le poème est affaire de subjectivité et la metteure en scène, la talentueuse Andrée Benchetrit, maîtresse d’œuvre de ces nouveaux Dialogues en musique aux Carmélites, possède à coup sûr sa propre sensibilité. Accueillir un spectacle c’est à la fois respecter le choix de ses concepteurs et exprimer un ressenti très personnel. Ici où là, le miracle de la rencontre n’opère pas; parfois il s’avère, à nos yeux , à nos oreilles, pleinement abouti. Ainsi par exemple des Pas dans la neige, pur concentré d’émotions debussystes, sublimés par Cyril Guillotin et les mystérieux Pas de Paul Valéry distillés par Marthouret, le sensuel Sensation de Rimbaud appelant la Fille aux cheveux de lin. ou enfin les fantaisies des Minstrels , leurs jeux de scènes pleins de charme et d’ironie et l’hymne à la joie de Bernard de Ventadorn. La spatialisation, l’acoustique ou la sonorisation ne rendent pas toujours pleinement justice à l’art de dire d’un François Marthouret glissant autour du piano lumineux de Cyril Guillotin. Le musicien français, concepteur et interprète d’un disque très original et hélas! épuisé Helldunkel Clair -obscur (2015) s’avère en direct une révélation. Son interprétation du chef d’œuvre de Debussy est magnifique d’intensité, de relief, de limpidité. Les climats de ces extraits, de ces essences musicales témoignent à la fois d’une maîtrise technique très savante, mais aussi d’un art des nuances et d’une ferveur poétique. Ce qu’a vu le vent d’ouest déploie sa fougue, son énergie, son électrisante virtuosité; La sérénade interrompue joue à se moquer prestement; les Collines d’Anacapri embaument; la Cathédrale engloutie surgit puis s’efface, solennelle, imposante, fragile, mystérieuse à jamais. Le Nocturne 20 de Chopin, cadeau du pianiste à l’acteur, et au public ravi, prolonge les vibrations de cette vespérale harmonie.

Jean Jordy

Cyril Guillotin, vidéo:
https://www.bs-artist.com/videos/pianistes/cyril-guillotin/chopin-nocturne-n-20-op-posth-cyril-guillotin-piano.html
Publié le 08/09/2019 à 18:27, mis à jour le 09/09/2021 à 19:45.