Louis Vierne

Ballade
Louis Vierne, Ballade, Dominique Hofer violon, Frédérique Troivaux piano. Sonate en sol mineur. Suite bourguignonne (extraits). Ballade. CD Hortus, 73’03.

Louis Vierne? Organiste, compositeur d’œuvres pour orgue. Voilà l’image juste mais réductrice que beaucoup se sont forgée du musicien français. Mais elle s’enrichit peu à peu. Müza Rubackyté entre autres a mieux fait connaitre son œuvre pour piano; ses symphonies et ses mélodies (ainsi de Spleens et Tristesses sur des poèmes de Verlaine ici même analysés par Christophe Bernard) sont enregistrées; sa musique de chambre est réhabilitée, et nous avions chroniqué, paru sous le même label, le tragique Quintette écrit en hommage à son fils mort en 1917 ( XVIII de la collection Les Musiciens et la Grande Guerre qui a consacré le XXI Seul à des Préludes et Nocturnes sous les doigts de Frédérique Troivaux). Prolonge ce renouveau Vierne le CD intitulé Ballade et regroupant trois œuvres ou arrangements pour violon et piano écrits entre 1899 et 1926. La Sonate en sol mineur est achevée et créée en 1907. L’interprétation qu’en livrent frère au violon et sœur au piano souligne la richesse et la force de la partition, de l’allegro à la fois tendre et vigoureux qui l’ouvre au finale passionné. On aime ce chassé-croisé entre les deux instruments qui tour à tour animent le mouvement initial avec une fièvre ou une délicatesse partagées. Le même procédé d’alternance ou d’échelonnement des sonorités est à l’œuvre dans l’Andante sosténuto dont la grâce immatérielle (splendide violon de Dominique Hofer) se heurte brusquement à l’expression d’une souffrance poignante que le piano décidé introduit avec une gravité inquiète. Tout aussi inattendu l’Intermezzo fait découvrir la verve du compositeur dont les deux musiciens font chanter, danser et bondir, l’humour ruisselant. Rendu au lyrisme, l’ample dernier mouvement (près de quinze minutes) développe un tout autre climat, plus tourmenté, douloureux, dont la coda exacerbe la tension. La Suite bourguignonne date des rares années de bonheur de Louis Vierne. Tour à tour source fraiche, vive, promenade rêveuse, danse sautillante, nocturne apaisé, elle fait se succéder des tableautins légers dont la grâce sans mièvrerie n’exclut pas l’acuité de touche. Dominique Hofer et Frédérique Troivaux savent colorer avec goût ces scènes champêtres. Initialement écrite pour violon et orchestre, voici enfin la Ballade dont les interprètes proposent le premier enregistrement mondial pour les deux instruments. La prise de son favorable au violon renforce l’impression que laisse cette œuvre méconnue. L’instrument y est roi et l’on s’étonne que la partition n’ait pas passionné d’autres virtuoses. La place manque pour en détailler tous les climats et en analyser les développements mélodiques. Le piano engagé de Frédérique Troivaux se fait accompagnement orchestral pour nourrir le flux d’une œuvre foisonnante dont Dominique Hofer s’avère le brillant défenseur.
On ne soulignera jamais assez l’audace d’un label comme Hortus de proposer et des œuvres rares et des interprètes talentueux mais peu médiatisés pour renouveler notre plaisir de la découverte et stimuler notre curiosité musicale.

Jean Jordy
Publié le 10/02/2019 à 20:39, mis à jour le 06/02/2020 à 23:45.