Elsa Dreisig
Miroir(s)
Airs extraits d’opéras de Gounod, Massenet, Puccini, Steibelt, Rossini, Mozart, Strauss. Elsa Dreisig, soprano. Orchestre national de Montpellier Occitanie, direction Michael Schonwandt. Erato. 70’20
Vivrions-nous une époque baroque? Après les jeux de miroirs de Karol Beffa, les musiques en miroirs pour orgue de Christophe Marchand, voici le premier disque d’Elsa Dreisig intitulé… Miroirs. Deux Manon, deux Juliette, deux Rosina, deux Salomé proposent leurs reflets, et dans deux scènes aux miroirs, Marguerite et Thaïs ouvrent l’album sur la contemplation de leur beauté. Le concept, astucieux, en vaut un autre et nous vaut surtout d’écouter une jeune soprano lyrique française à l’orée d’une carrière déjà nourrie et qu’on peut prédire longue et brillante… si elle ne se brûle pas les ailes à fréquenter trop et trop vite des rôles encore hors de portée. Accompagnée par un orchestre de Montpellier Occitanie qui peut être puissant ou subtil, et un Michael Schonwandt attentif, Elsa Dreisig développe des qualités techniques et musicales, rares chez une si jeune interprète. Ce qui frappe d’abord est la pureté du timbre et la clarté de la diction. A cet égard, l’air des Bijoux, amputé abruptement de la Ballade du Roi de Thulé, constitue un modèle: la voix s’émeut, sourit, scintille et l’auditeur ne perd pas un mot dans ce déploiement chatoyant de surprise naïve et d’émerveillement raffiné. Sans doute pourra-t-on reprocher à sa Thaïs un manque de sensualité et d’urgence, un amoindrissement de l’aigu, mais pas la conduite de la ligne et la netteté d’articulation du texte. Les deux Manon révèlent une émotion lyrique et l’expression touchante d’une mélancolie qui dessinent deux portraits sensibles. L’album offre une vraie découverte, la Juliette héroïque du compositeur Daniel Steibelt (1765 – 1823). Son air du tombeau prépare une autre nouveauté, l’air du poison du Roméo et Juliette de Gounod, dont Elsa Dreisig ose une version complète. Pourquoi nous a-t-on privés si longtemps d’une telle page à laquelle l’engagement d’Elsa Dreisig rend pleinement justice? La soprano dont le juvénile frémissement fait merveille déploie un sens de la nuance et une richesse psychologique que le chef souligne avec un sens certain du relief dramatique. C’est dans cette découverte qu’Elsa Dreisig nous convainc totalement qu’elle ne sera pas un météore dans le ciel musical, mais une cantatrice au vaste potentiel. Nous avions vu sa Rosina dans la tournée qu’Opéra éclaté proposait du chef d’œuvre de Rossini. Elsa Dreisig y était charmante, brillante technicienne et dominait tous ses partenaires par une présence vocale et théâtrale incontestable. Elle reprend ici l’air d’entrée Una voce poco fa avec le même abattage et la même innocente rouerie. Le jeu de miroir imposait-il d’enregistrer l’air de la Comtesse Porgi , amor des Noces? C’est très beau, mais la voix, pas assez blessée, reste un peu en-deçà de ce que l’on attend du sublime mozartien. Le récit de Salomé a inspiré entre autres l’Hérodiade de Massenet, dont on entend ici l’air superbe Il est doux, il est bon, et la Salomé version française de Richard Strauss: dans la scène finale Elsa Dreisig, qui ne saurait (pas encore) chanter un rôle excédant ses possibilités, se révèle toutefois magnifique d’engagement, de déraison tourmentée. Elle redonne, ici comme dans tout le disque, un coup de fraicheur, d’éclat et de juvénile ardeur à des héroïnes tragiques dont on avait oublié la jeunesse dramatiquement blessée. Ce n’est pas le moindre mérite de cet enregistrement audacieux, vitalisant et répétons –le, prometteur.
Jean Jordy
Vivrions-nous une époque baroque? Après les jeux de miroirs de Karol Beffa, les musiques en miroirs pour orgue de Christophe Marchand, voici le premier disque d’Elsa Dreisig intitulé… Miroirs. Deux Manon, deux Juliette, deux Rosina, deux Salomé proposent leurs reflets, et dans deux scènes aux miroirs, Marguerite et Thaïs ouvrent l’album sur la contemplation de leur beauté. Le concept, astucieux, en vaut un autre et nous vaut surtout d’écouter une jeune soprano lyrique française à l’orée d’une carrière déjà nourrie et qu’on peut prédire longue et brillante… si elle ne se brûle pas les ailes à fréquenter trop et trop vite des rôles encore hors de portée. Accompagnée par un orchestre de Montpellier Occitanie qui peut être puissant ou subtil, et un Michael Schonwandt attentif, Elsa Dreisig développe des qualités techniques et musicales, rares chez une si jeune interprète. Ce qui frappe d’abord est la pureté du timbre et la clarté de la diction. A cet égard, l’air des Bijoux, amputé abruptement de la Ballade du Roi de Thulé, constitue un modèle: la voix s’émeut, sourit, scintille et l’auditeur ne perd pas un mot dans ce déploiement chatoyant de surprise naïve et d’émerveillement raffiné. Sans doute pourra-t-on reprocher à sa Thaïs un manque de sensualité et d’urgence, un amoindrissement de l’aigu, mais pas la conduite de la ligne et la netteté d’articulation du texte. Les deux Manon révèlent une émotion lyrique et l’expression touchante d’une mélancolie qui dessinent deux portraits sensibles. L’album offre une vraie découverte, la Juliette héroïque du compositeur Daniel Steibelt (1765 – 1823). Son air du tombeau prépare une autre nouveauté, l’air du poison du Roméo et Juliette de Gounod, dont Elsa Dreisig ose une version complète. Pourquoi nous a-t-on privés si longtemps d’une telle page à laquelle l’engagement d’Elsa Dreisig rend pleinement justice? La soprano dont le juvénile frémissement fait merveille déploie un sens de la nuance et une richesse psychologique que le chef souligne avec un sens certain du relief dramatique. C’est dans cette découverte qu’Elsa Dreisig nous convainc totalement qu’elle ne sera pas un météore dans le ciel musical, mais une cantatrice au vaste potentiel. Nous avions vu sa Rosina dans la tournée qu’Opéra éclaté proposait du chef d’œuvre de Rossini. Elsa Dreisig y était charmante, brillante technicienne et dominait tous ses partenaires par une présence vocale et théâtrale incontestable. Elle reprend ici l’air d’entrée Una voce poco fa avec le même abattage et la même innocente rouerie. Le jeu de miroir imposait-il d’enregistrer l’air de la Comtesse Porgi , amor des Noces? C’est très beau, mais la voix, pas assez blessée, reste un peu en-deçà de ce que l’on attend du sublime mozartien. Le récit de Salomé a inspiré entre autres l’Hérodiade de Massenet, dont on entend ici l’air superbe Il est doux, il est bon, et la Salomé version française de Richard Strauss: dans la scène finale Elsa Dreisig, qui ne saurait (pas encore) chanter un rôle excédant ses possibilités, se révèle toutefois magnifique d’engagement, de déraison tourmentée. Elle redonne, ici comme dans tout le disque, un coup de fraicheur, d’éclat et de juvénile ardeur à des héroïnes tragiques dont on avait oublié la jeunesse dramatiquement blessée. Ce n’est pas le moindre mérite de cet enregistrement audacieux, vitalisant et répétons –le, prometteur.
Jean Jordy
Publié le 29/01/2019 à 20:09, mis à jour le 06/02/2020 à 23:45.