Haendel : Cantates italiennes
Devieilhe, Desandre, Haïm
Haendel, Cantates italiennes. Aminta e Fillide. Armida abbandonata. La Lucrezia. Trio Sonate en si mineur. Sabine Devieilhe, Léa Desandre, Le Concert d’Astrée, direction Emmanuelle Haïm. Double CD Erato. 53’27, 42’47.
On sait Emmanuelle Haïm et le Concert d’Astrée familiers de l’univers de Georg Friedrich Haendel dont ils ont enregistré et interprété à la scène plusieurs œuvres. Les voici célébrant des Cantates italiennes, reflet d’un concert au Théâtre des Champs Elysées en avril 2018, avec en solistes Sabine Devieilhe et Léa Desandre. La vitalité et les exquises beautés de ce double album convaincront les plus blasés. Ce sont des pages de jeunesse qu’Haendel a entreprises lors de son séjour italien (1706-1710) et dont il fera son miel pour les œuvres lyriques à venir. La première cantate Aminta e Fillide, pastorale dramatique composée sur un livret du Tasse est de fait un bref opéra de moins d’une heure écrit pour deux sopranos, cordes et basse continue. Dès les premières mesures, solennelles puis enfiévrées, l’auditeur goute le suc fruité, la sève bouillonnante d’une interprétation colorée qui prend la partition à bras le corps avec une fougue qui n’exclut ni l’humour ni la tendresse. L’entrée tranchante Arresta, arresta il passo de Sabine Devieilhe, loin de freiner le rythme, le précipite avec une ardeur dynamique. La nymphe Phyllis, belle obstinée, cédera-t-elle aux désirs effrénés du berger Aminthe, tel est l’enjeu mince mais délicieux de cette action qui n’a de dramatique que le nom. L’effusion prend le pas sur la menace, la douceur de l’amour sur sa douleur, même si l’ardeur de la flamme (métaphore récurrente) s’exprime en termes et en musique véhéments. Semblable à la Carte du Tendre de la littérature précieuse, le livret du Tasse décline ses variations sur la voie alambiquée de l’accomplissement du désir au cours d’une conversation qui oppose pour mieux les unir les deux personnages. Haendel a confié à la voix de soprano le rôle masculin et à la nymphe celle de mezzo. Ce sont dès lors volutes gracieuses, délicates mélodies, modulations d’arabesques, dialogues en échos avec les instruments, reprises virtuoses et échanges piquants entre Sabine Devieilhe (euphorique et lumineux Al dispetto di sorte crudele) et Léa Desandre (tendre Sento che il Dio bambin). Elles s’avèrent égales dans l’art de distiller, sans la moindre mièvrerie, de vifs récitatifs ou des airs qui ravissent, dont un duo final élevant l’amour et la musique à un haut degré d’exigence. Le second disque de l’album s’ouvre sur la cantate Armida abbandonata confiée à Sabine Devieilhe. L’aria initial Ah! crudel e pur ten vai offre à la soprano l’occasion de prouver une nouvelle fois que la virtuosité technique n’est pas son seul atout. La voix lumineuse se charge d’une douce émotion, prélude élégiaque d’une expression de douleur plus intense que sublime un In tanti affanni miei en apesanteur. La Lucrezia, si riche d’affetti, permet à une chanteuse de faire valoir ses qualités d’interprète lyrique et dramatique: Léa Desandre réussit joliment sur les deux tableaux. Le récitatif initial traduit le mépris contre l’amant infidèle (bel effet sur l’empio conclusif), Il suol che preme apparait véhément et virtuose, les couleurs parent le récitatif qui suit pour exprimer la variété des émotions, la vendetta finale tombe comme un couperet. La Sonate en Trio centrale dont se souviendra le compositeur dans Alcina s’épanouit dans un climat de mélancolie que les musiciens du Concert d’Astrée et Emmanuelle Haïm esquissent avec l’élégance et la fluidité qui font leur marque. Elle complète avec pudeur un album où fusionnent vigueur et raffinement.
Jean Jordy
Écoutez un extrait sur YouTube:
On sait Emmanuelle Haïm et le Concert d’Astrée familiers de l’univers de Georg Friedrich Haendel dont ils ont enregistré et interprété à la scène plusieurs œuvres. Les voici célébrant des Cantates italiennes, reflet d’un concert au Théâtre des Champs Elysées en avril 2018, avec en solistes Sabine Devieilhe et Léa Desandre. La vitalité et les exquises beautés de ce double album convaincront les plus blasés. Ce sont des pages de jeunesse qu’Haendel a entreprises lors de son séjour italien (1706-1710) et dont il fera son miel pour les œuvres lyriques à venir. La première cantate Aminta e Fillide, pastorale dramatique composée sur un livret du Tasse est de fait un bref opéra de moins d’une heure écrit pour deux sopranos, cordes et basse continue. Dès les premières mesures, solennelles puis enfiévrées, l’auditeur goute le suc fruité, la sève bouillonnante d’une interprétation colorée qui prend la partition à bras le corps avec une fougue qui n’exclut ni l’humour ni la tendresse. L’entrée tranchante Arresta, arresta il passo de Sabine Devieilhe, loin de freiner le rythme, le précipite avec une ardeur dynamique. La nymphe Phyllis, belle obstinée, cédera-t-elle aux désirs effrénés du berger Aminthe, tel est l’enjeu mince mais délicieux de cette action qui n’a de dramatique que le nom. L’effusion prend le pas sur la menace, la douceur de l’amour sur sa douleur, même si l’ardeur de la flamme (métaphore récurrente) s’exprime en termes et en musique véhéments. Semblable à la Carte du Tendre de la littérature précieuse, le livret du Tasse décline ses variations sur la voie alambiquée de l’accomplissement du désir au cours d’une conversation qui oppose pour mieux les unir les deux personnages. Haendel a confié à la voix de soprano le rôle masculin et à la nymphe celle de mezzo. Ce sont dès lors volutes gracieuses, délicates mélodies, modulations d’arabesques, dialogues en échos avec les instruments, reprises virtuoses et échanges piquants entre Sabine Devieilhe (euphorique et lumineux Al dispetto di sorte crudele) et Léa Desandre (tendre Sento che il Dio bambin). Elles s’avèrent égales dans l’art de distiller, sans la moindre mièvrerie, de vifs récitatifs ou des airs qui ravissent, dont un duo final élevant l’amour et la musique à un haut degré d’exigence. Le second disque de l’album s’ouvre sur la cantate Armida abbandonata confiée à Sabine Devieilhe. L’aria initial Ah! crudel e pur ten vai offre à la soprano l’occasion de prouver une nouvelle fois que la virtuosité technique n’est pas son seul atout. La voix lumineuse se charge d’une douce émotion, prélude élégiaque d’une expression de douleur plus intense que sublime un In tanti affanni miei en apesanteur. La Lucrezia, si riche d’affetti, permet à une chanteuse de faire valoir ses qualités d’interprète lyrique et dramatique: Léa Desandre réussit joliment sur les deux tableaux. Le récitatif initial traduit le mépris contre l’amant infidèle (bel effet sur l’empio conclusif), Il suol che preme apparait véhément et virtuose, les couleurs parent le récitatif qui suit pour exprimer la variété des émotions, la vendetta finale tombe comme un couperet. La Sonate en Trio centrale dont se souviendra le compositeur dans Alcina s’épanouit dans un climat de mélancolie que les musiciens du Concert d’Astrée et Emmanuelle Haïm esquissent avec l’élégance et la fluidité qui font leur marque. Elle complète avec pudeur un album où fusionnent vigueur et raffinement.
Jean Jordy
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Publié le 09/01/2019 à 18:40, mis à jour le 04/05/2020 à 16:40.