Christophe Marchand
Musiques en Miroirs
Christophe Marchand, Musiques en Miroirs. Pascale Rouet, organiste. Orgue de la Basilique de Mézières. Triton. CD 69’57
«La plupart des œuvres enregistrées ici ont pour caractéristique de se refléter dans des musiques anciennes invitant à une écoute renouvelée de celles-ci». Tel est l’objectif de ce projet. De fait on y découvre des pièces contemporaines (1996 – 2016) pour orgue du compositeur Christophe Marchand inspirées par des œuvres du passé, citées ou évoquées, voire d’autres arts. L’album fait feu de tout bois: célébration des «Couleurs et Grands Jeux d’Ardenne», invitation de M le Maire à visiter Charleville-Mézières (sic), ode à l’orgue de la Basilique de Mézières dont un livret à part richement illustré loue «les 1000 m2 de vitraux de René Dürrbach, collaborateur et ami de Picasso», commentaires savants, Sonate, Etudes, Songe, Danses macabres ou pas composent un ensemble qui se veut cohérent, mais qui apparait surtout touffu et hétéroclite. Dialogue entre les temps, correspondances entre les arts, plaidera-t-on. Mais ces Musiques en Miroirs et leur foisonnant accompagnement littéraire et iconographique déconcertent et déroutent. L’auditeur, livré à sa maigre culture, se lasse à trouver des échos entre le passé et le présent. Seul Le Songe de Jan Pieterszoon Sweelinck propose des écoutes croisées entre l’œuvre originale du compositeur hollandais (1562-1621) et la réécriture contemporaine (2014). Pour le reste, le projet se révèle à la fois frustrant (Où sont les autres miroirs réfléchissants, c’est-à-dire les œuvres inspiratrices?) et trop fourni. La faute en incombe à un contenu éditorial qui part dans tous les sens. Le jeu fluide, coloré, engagé de Pascale Rouet n’est pas en cause et elle sert toutes les pièces, même les plus austères ou répétitives, avec intégrité, légèreté ou puissance, avec aussi un choix convaincant et efficace des registrations qu’il faut saluer. Les sonorités de l’orgue de la basilique de Mézières s’avèrent richement variées, profondes. Quant aux œuvres elles-mêmes, elles ne cherchent pas à séduire, apparaissent souvent comme des recherches intellectuelles sans grande émotion, et ne laissent guère l’auditeur «comme fasciné par les mécaniques célestes… » (Temps V d’Orchésographie). La sonate A travers les étoiles ouvre l’album assortie d’un discours qui en fait «un voyage interstellaire vers le lointain et les mystérieux recoins inexplorés du cosmos». Christophe Marchand en appelle à Nicolas Louis de La Caille, astronome ardennais, à Dominique Proust, astrophysicien, à Jean Loup Chrétien, à L’Odyssée de l’espace, Interstellar, Gravity, et pour la musique aux «grands polyptyques du XVII° siècle allemand». Est-ce humilité de rappeler ces sources d’inspiration, ou cela relève-t-il d’un étalage excessif de références prestigieuses? On aimerait bien ne juger que la musique, mais le guide d’écoute fait écran et décourage la réception. Pointons les moments où l’oreille se plait à retrouver le seul plaisir d’entendre. Assurément la Stella Splendens in monte (2016) dont le recueillement, puis la glorification puisent au fonds le plus subtil, le Livre Vermeil de Montserrat (XIV° siècle). L’ostinato dansant de Saltarello, le moment de la Sonate initiale où les timbres tintinnabulent en carillons cristallins, l’étrange construction de la toccata Per Elevazione, la troisième des Danses macabres (1998-1999) et sa grinçante inspiration rompent avec un discours musical trop souvent solennel, voire pompeux, et révèlent un art savant qui sait être inventif. Plaidons pour qu’à l’avenir les talents convoqués soient au service plus humble d’un projet moins bavard et plus tenu.
Jean Jordy
«La plupart des œuvres enregistrées ici ont pour caractéristique de se refléter dans des musiques anciennes invitant à une écoute renouvelée de celles-ci». Tel est l’objectif de ce projet. De fait on y découvre des pièces contemporaines (1996 – 2016) pour orgue du compositeur Christophe Marchand inspirées par des œuvres du passé, citées ou évoquées, voire d’autres arts. L’album fait feu de tout bois: célébration des «Couleurs et Grands Jeux d’Ardenne», invitation de M le Maire à visiter Charleville-Mézières (sic), ode à l’orgue de la Basilique de Mézières dont un livret à part richement illustré loue «les 1000 m2 de vitraux de René Dürrbach, collaborateur et ami de Picasso», commentaires savants, Sonate, Etudes, Songe, Danses macabres ou pas composent un ensemble qui se veut cohérent, mais qui apparait surtout touffu et hétéroclite. Dialogue entre les temps, correspondances entre les arts, plaidera-t-on. Mais ces Musiques en Miroirs et leur foisonnant accompagnement littéraire et iconographique déconcertent et déroutent. L’auditeur, livré à sa maigre culture, se lasse à trouver des échos entre le passé et le présent. Seul Le Songe de Jan Pieterszoon Sweelinck propose des écoutes croisées entre l’œuvre originale du compositeur hollandais (1562-1621) et la réécriture contemporaine (2014). Pour le reste, le projet se révèle à la fois frustrant (Où sont les autres miroirs réfléchissants, c’est-à-dire les œuvres inspiratrices?) et trop fourni. La faute en incombe à un contenu éditorial qui part dans tous les sens. Le jeu fluide, coloré, engagé de Pascale Rouet n’est pas en cause et elle sert toutes les pièces, même les plus austères ou répétitives, avec intégrité, légèreté ou puissance, avec aussi un choix convaincant et efficace des registrations qu’il faut saluer. Les sonorités de l’orgue de la basilique de Mézières s’avèrent richement variées, profondes. Quant aux œuvres elles-mêmes, elles ne cherchent pas à séduire, apparaissent souvent comme des recherches intellectuelles sans grande émotion, et ne laissent guère l’auditeur «comme fasciné par les mécaniques célestes… » (Temps V d’Orchésographie). La sonate A travers les étoiles ouvre l’album assortie d’un discours qui en fait «un voyage interstellaire vers le lointain et les mystérieux recoins inexplorés du cosmos». Christophe Marchand en appelle à Nicolas Louis de La Caille, astronome ardennais, à Dominique Proust, astrophysicien, à Jean Loup Chrétien, à L’Odyssée de l’espace, Interstellar, Gravity, et pour la musique aux «grands polyptyques du XVII° siècle allemand». Est-ce humilité de rappeler ces sources d’inspiration, ou cela relève-t-il d’un étalage excessif de références prestigieuses? On aimerait bien ne juger que la musique, mais le guide d’écoute fait écran et décourage la réception. Pointons les moments où l’oreille se plait à retrouver le seul plaisir d’entendre. Assurément la Stella Splendens in monte (2016) dont le recueillement, puis la glorification puisent au fonds le plus subtil, le Livre Vermeil de Montserrat (XIV° siècle). L’ostinato dansant de Saltarello, le moment de la Sonate initiale où les timbres tintinnabulent en carillons cristallins, l’étrange construction de la toccata Per Elevazione, la troisième des Danses macabres (1998-1999) et sa grinçante inspiration rompent avec un discours musical trop souvent solennel, voire pompeux, et révèlent un art savant qui sait être inventif. Plaidons pour qu’à l’avenir les talents convoqués soient au service plus humble d’un projet moins bavard et plus tenu.
Jean Jordy
Publié le 22/10/2018 à 22:01, mis à jour le 07/10/2019 à 07:00.