Théâtre du Capitole
> 17 mai

Une drôle d’Italienne

Photographies par Patrice Nin
Composé en moins d’un mois, l’Italienne à Alger illustre les qualités d’imagination de Rossini en même temps que les celles d’exécution que l’on attend des chanteurs. Très ornementés, les airs sont des prouesses vocales pour les rôles principaux souvent obligés de maîtriser un registre fort étendu pour de réelles prouesses, tandis que les rôles secondaires sont eux aussi attendus sur quelques airs requérant de réelles qualités.
La partie musicale de la représentation suscite sans réserve les applaudissements du public conquis aussi bien par le jeune Maxim Mironov, excellent Lindoro, amoureux un peu benêt, que par Pierre Spagnoli, excellent Mustafà. Marianna Pizzolato campe une remarquable Isabella: sa voix est excellente du début à la fin, elle se joue des airs les plus difficiles et, ce qui ne gâte rien, a un jeu scénique remarquable, ce qui n’était pas gagné, car elle n’a sans doute pas le «look» que l’on pouvait attendre, mais sait l’utiliser avec finesse et drôlerie. Gan-ya Ben-Gur Akselrod, Elvira, Joan-Martin-Royo, Taddeo, Victoria Yarovaya, Zulma, et Aymery Lefèvre, Haly . Sous la direction d’Antonino Fogliani, l’orchestre et le chœur du Capitole sont parfaits et bien dans un ton rossinien, soulignant bien le double niveau de l’opéra qui mêle, comme souvent chez Rossini, le burlesque et le sérieux.
Pour la mise en scène, on savait qu’avec Laura Scozzi, qui avait mis en scène au Capitole Les Indes Galantes, il fallait s’attendre à une approche inattendue, voire plus. Elle choisit de «déturquer» l’histoire qui se déroule dans un décor tournant, ce que le Théâtre du Capitole pratique souvent depuis quelques années, tout à fait intemporel, comme le sont pour l’essentiel des costumes. Un clin d’œil: Zulma porte un foulard et Aymery Lefèvre est maquillé pour avoir l’air d’un oriental, mais comme tout le monde en vêtements occidentaux.
Une place importante est réservée à des danseuses et une stripteaseuse qui se dévêt complètement incarnant les «esclaves sexuelles» appelées à satisfaire les fantasmes du bey. Elles sont mignonnes, mais comme nous l’avions souligné, lors de la production des Indes Galantes, Laura Scozzi donne une vision du sexe sans joie, c’est vraiment de l’abattage. Or pour garder leur place, elles devraient au moins feindre, ce qui n’exclut pas des signaux montrant leur profond déplaisir puisque c’est un des messages de la metteuse en scène. Un poncif: les captifs sont des migrants avec leurs sacs Tati. Cela perd beaucoup d’efficacité dans la répétition, comme les méchants dans de nombreux opéras en uniformes nazis… On ne peut en revanche qu’avoir un regard positif sur la mise en scène des protagonistes principaux. Isabella est drôle: elle est la femme qui se prend en charge, secoue les passives et montre aux hommes qu’ils doivent être actifs et courageux, comme si elle croyait en eux, alors qu’en même temps elle se moque d’eux. Elle tourne littéralement en bourrique le bey et Taddeo ne s’en sort pas mieux. Le numéro sur la patrie est à la fois dans la ligne des premières réactions nationalistes en Italie, mais aussi un brin ironique et surtout traité comme tel dans la version présentée.
Malgré les réserves par rapport aux postures de la mise en scène, n’est pas vraiment novateur qui veut, cela reste une bonne soirée.

Danielle Anex-Cabanis
Publié le 25/05/2016 à 07:33, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.