Conversation aimable
Joseph Haydn et le Quatuor Zaïde
Joseph Haydn, String quartets opus 50; Quatuor Zaïde: Charlotte Julliard, Leslie Boulin Raulet, Sarah Chenaf, Juliette Salmona. Double CD NoMadMusic.
«Une femme d’esprit disait qu’en entendant les quatuors de Haydn, elle croyait assister à la conversation de quatre personnes aimables. » Stendhal, Vie de Haydn (1854). Le XVIIIe siècle est en effet celui de la conversation et des salons. Salons littéraires, scientifiques, philosophiques, où le fond érudit égale la forme policée, brillante, enjouée et cependant profonde. Comment s’étonner que la forme quatuor, qui règle les échanges entre les instruments tout en variant les rythmes et les climats, soit née en ce siècle des Lumières où tout se veut ordre et beauté, mais qui bouillonne d’idées? Les 68 quatuors à cordes de Haydn constituent à ce titre un monument musical essentiel. Les quatre jeunes femmes solistes du Quatuor Zaïde ont choisi, pour ce double CD, les six qui composent l’opus 50 du compositeur autrichien (1787). Cette formation française, depuis sa création en 2009, a remporté de nombreux prix, dont en 2012, le 1e prix du Concours International Joseph Haydn à Vienne. C’est assez dire la qualité de cet ensemble.
Les quatuors dits «prussiens» en référence au dédicataire, Frédéric-Guillaume II de Prusse, constituent un jalon majeur de l’itinéraire du compositeur qui s’est toute sa vie soumis à cette forme. L’interprétation qu’en donne le Quatuor Zaïde rend justice avec élégance et clarté à ces compositions majeures. La place accordée au violoncelle qui ouvre le n°1 n’est pas seulement un subtil hommage au dédicataire royal, lui-même violoncelliste; c’est avant tout l’affirmation de l’égalité de dignité des quatre instruments à cordes qui vont deviser, s’écouter, se répondre, tantôt de façon enjouée, tantôt de façon plus énergique, mais sans jamais rompre la fluidité du discours, sans précipitation ni brutalité. Écoutons le vivace assai du Finale pour mesurer combien cet art de converser est à la fois jouissance de l’esprit qui court, virevolte, et subits arrêts pour mesurer et savourer la profondeur d’une ultime pensée. Les menuets, allegretto ou poco allegretto, qui composent chacun le troisième mouvement des six pièces constituent sous l’archet des musiciennes des moments de grâce et d’équilibre, et comme le temps des surprises ou des secrets avoués, dont le mouvement parfois primesautier semble se briser non pas, se laisser surprendre par une confidence plus grave. Car ici point de heurt, même si les contrastes sont assumés. Dans un esprit dont le classicisme serait l’idéal esthétique, le discours se construit avec le souci de l’harmonie qui se fait frémissante et émouvante, par exemple dans l’adagio cantabile de l’opus 2, splendide moment musical ciselé par le quatuor Zaïde. Le deuxième mouvement qui se déploie dans le Cinquième ouvre les portes d’un rêve aux troublantes profondeurs. Et la grenouille, sous-titre du 6e quatuor, témoigne moins de l’art d’une musique imitative que de l’alacrité d’un esprit, et d’une formation, novateurs, puissants et enthousiastes.
«Le grand secret de la conversation est une attention continuelle», écrivait Madame Necker (1798). L’attention aux autres, tel semble le secret que respectent les quatre jeunes musiciennes qui livrent de l’opus 50 de Haydn une version racée, élégante, vive, intelligente et pour le dire en un mot auquel le XVIIIe siècle donnait son plein sens affectif: aimable.
Jean Jordy
«Une femme d’esprit disait qu’en entendant les quatuors de Haydn, elle croyait assister à la conversation de quatre personnes aimables. » Stendhal, Vie de Haydn (1854). Le XVIIIe siècle est en effet celui de la conversation et des salons. Salons littéraires, scientifiques, philosophiques, où le fond érudit égale la forme policée, brillante, enjouée et cependant profonde. Comment s’étonner que la forme quatuor, qui règle les échanges entre les instruments tout en variant les rythmes et les climats, soit née en ce siècle des Lumières où tout se veut ordre et beauté, mais qui bouillonne d’idées? Les 68 quatuors à cordes de Haydn constituent à ce titre un monument musical essentiel. Les quatre jeunes femmes solistes du Quatuor Zaïde ont choisi, pour ce double CD, les six qui composent l’opus 50 du compositeur autrichien (1787). Cette formation française, depuis sa création en 2009, a remporté de nombreux prix, dont en 2012, le 1e prix du Concours International Joseph Haydn à Vienne. C’est assez dire la qualité de cet ensemble.
Les quatuors dits «prussiens» en référence au dédicataire, Frédéric-Guillaume II de Prusse, constituent un jalon majeur de l’itinéraire du compositeur qui s’est toute sa vie soumis à cette forme. L’interprétation qu’en donne le Quatuor Zaïde rend justice avec élégance et clarté à ces compositions majeures. La place accordée au violoncelle qui ouvre le n°1 n’est pas seulement un subtil hommage au dédicataire royal, lui-même violoncelliste; c’est avant tout l’affirmation de l’égalité de dignité des quatre instruments à cordes qui vont deviser, s’écouter, se répondre, tantôt de façon enjouée, tantôt de façon plus énergique, mais sans jamais rompre la fluidité du discours, sans précipitation ni brutalité. Écoutons le vivace assai du Finale pour mesurer combien cet art de converser est à la fois jouissance de l’esprit qui court, virevolte, et subits arrêts pour mesurer et savourer la profondeur d’une ultime pensée. Les menuets, allegretto ou poco allegretto, qui composent chacun le troisième mouvement des six pièces constituent sous l’archet des musiciennes des moments de grâce et d’équilibre, et comme le temps des surprises ou des secrets avoués, dont le mouvement parfois primesautier semble se briser non pas, se laisser surprendre par une confidence plus grave. Car ici point de heurt, même si les contrastes sont assumés. Dans un esprit dont le classicisme serait l’idéal esthétique, le discours se construit avec le souci de l’harmonie qui se fait frémissante et émouvante, par exemple dans l’adagio cantabile de l’opus 2, splendide moment musical ciselé par le quatuor Zaïde. Le deuxième mouvement qui se déploie dans le Cinquième ouvre les portes d’un rêve aux troublantes profondeurs. Et la grenouille, sous-titre du 6e quatuor, témoigne moins de l’art d’une musique imitative que de l’alacrité d’un esprit, et d’une formation, novateurs, puissants et enthousiastes.
«Le grand secret de la conversation est une attention continuelle», écrivait Madame Necker (1798). L’attention aux autres, tel semble le secret que respectent les quatre jeunes musiciennes qui livrent de l’opus 50 de Haydn une version racée, élégante, vive, intelligente et pour le dire en un mot auquel le XVIIIe siècle donnait son plein sens affectif: aimable.
Jean Jordy
Publié le 20/01/2016 à 22:52, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.