Jeunesse lointaine
Youri Chaporine, Gueorgui Sviridov
Mariam Sarkissian, mezzo-soprano; Artur Avanesov, piano; CD Suoni e colori.
Ce premier enregistrement mondial du cycle de mélodies «Jeunesse lointaine» de Youri Chaporine, compositeur peu connu en France, est une belle découverte et, disons-le tout de suite, une très belle réussite!
Composé sur des poèmes d’Alexandre Blok (1880-1921), ce cycle de mélodies constitue une belle page poétique et musicale, à la fois lyrique et romantique, de ce début du XXe siècle identifié comme «l’Age d’argent» de la culture Russe (1900-1917). La poésie d’Alexandre Blok est une mélodie à elle-seule, tant il recherchait avant toute chose la sonorité des mots: «Lorsqu’une pensée me poursuit sans relâche, je recherche douloureusement la sonorité dont elle doit se revêtir. En fin de compte, j’entends une mélodie».
Les thèmes de ce cycle empruntent aux thèmes classiques du romantisme, de la nostalgie du temps qui passe, des amours passées, du bonheur perdu et de la jeunesse qui vous abandonne, rappelant ici le cycle des seize lieder de Schumann (Dichterliebe, Les amours du poète). Voyage intime, fait de nostalgie heureuse mais aussi de celle qui petit à petit plonge le poète dans le spleen… Tel est le crescendo proposé par ce cycle où les premières mélodies semblent encore évoquer des souvenirs joyeux ( «C’était le soir», «La fumée d’un feu de bois»), les trois dernières pièces clôturant ce cycle de dix mélodies étant, quant à elles, définitivement marquées par la profonde tristesse d’un bonheur cette fois à jamais perdu ( «Cette vie est passée»).
Venu tardivement à la musique, Youri Chaporine fit des études d’histoire, de philologie et de droit avant de rejoindre le conservatoire de Saint-Pétersbourg (1913-1918). En 1939, il est professeur au conservatoire de Moscou, après avoir été successivement directeur de la musique du Grand Théâtre de Leningrad (1919-1928) puis du théâtre Pouchkine (1928-1934).
Très inspiré de la musique russe du XIXème siècle (Tchaïkovski et Rachmaninov), l’écriture classique de Youri Chaporine offre à ces textes une ligne mélodique parfois simple mais plus souvent très riche en harmoniques, faisant sens avec les textes de Blok, conjuguant ainsi avec dextérité des moments très contrastés de grande virtuosité avec d’autres plus simples et plus évocateurs du texte, passant d’un rythme de valse à quelques petites notes pour évoquer le bruit du vent.
Mariam Sarkissian, mezzo-soprano moscovite, qui a fait ses études de chant à Paris, n’est pas inconnue du public français (on a pu la voir notamment en décembre 2012 en Oreste de La Belle Hélène au théâtre du Capitole à Toulouse). Elle sert ici avec un très grand talent ces mélodies. Son timbre magnifique, très homogène, très souple sur l’ensemble de la tessiture et si riche en nuances embrasse avec un réel bonheur ce répertoire de mélodies russes. Sa palette vocale, d’une exceptionnelle richesse, sait vous séduire et, très vite, l’émotion vous envahit. Mezzo à la voix puissante, Maria Sarkissian sait ici être «mélodiquement lyrique», agile, sans jamais trop en faire. De la puissance dans la retenue, de la belle ouvrage!
L’accompagnement au piano d’Artur Avanezov n’est pas étranger à cette réussite, sa musicalité et sa grande complicité avec notre mezzo confèrent au final à cet enregistrement une très belle unité.
Ces mélodies de Chaporine sont ici complétées par trois pièces de Georgui Sviridov sur des vers de Blok ( «La girouette», «La fiancée» et «La vierge dans la ville»), tirées du cycle vocal Poème Pétersbourg pour voix et piano.
Elève de la classe de composition de Dmitri Chostakovitch, l’écriture de Sviridov est à la fois plus simple et plus originale, très différente de celle de Chaporine, ces deux musiciens n’ayant en commun que leur attachement à la poésie de Blok, raison qui a sans doute conduit ici à les réunir.
Ces dernières œuvres de Sviridov, interprétées tout aussi excellemment par nos deux artistes, achèvent ainsi ce bien séduisant voyage dans l’univers de la mélodie russe.
Christophe BERNARD
Ce premier enregistrement mondial du cycle de mélodies «Jeunesse lointaine» de Youri Chaporine, compositeur peu connu en France, est une belle découverte et, disons-le tout de suite, une très belle réussite!
Composé sur des poèmes d’Alexandre Blok (1880-1921), ce cycle de mélodies constitue une belle page poétique et musicale, à la fois lyrique et romantique, de ce début du XXe siècle identifié comme «l’Age d’argent» de la culture Russe (1900-1917). La poésie d’Alexandre Blok est une mélodie à elle-seule, tant il recherchait avant toute chose la sonorité des mots: «Lorsqu’une pensée me poursuit sans relâche, je recherche douloureusement la sonorité dont elle doit se revêtir. En fin de compte, j’entends une mélodie».
Les thèmes de ce cycle empruntent aux thèmes classiques du romantisme, de la nostalgie du temps qui passe, des amours passées, du bonheur perdu et de la jeunesse qui vous abandonne, rappelant ici le cycle des seize lieder de Schumann (Dichterliebe, Les amours du poète). Voyage intime, fait de nostalgie heureuse mais aussi de celle qui petit à petit plonge le poète dans le spleen… Tel est le crescendo proposé par ce cycle où les premières mélodies semblent encore évoquer des souvenirs joyeux ( «C’était le soir», «La fumée d’un feu de bois»), les trois dernières pièces clôturant ce cycle de dix mélodies étant, quant à elles, définitivement marquées par la profonde tristesse d’un bonheur cette fois à jamais perdu ( «Cette vie est passée»).
Venu tardivement à la musique, Youri Chaporine fit des études d’histoire, de philologie et de droit avant de rejoindre le conservatoire de Saint-Pétersbourg (1913-1918). En 1939, il est professeur au conservatoire de Moscou, après avoir été successivement directeur de la musique du Grand Théâtre de Leningrad (1919-1928) puis du théâtre Pouchkine (1928-1934).
Très inspiré de la musique russe du XIXème siècle (Tchaïkovski et Rachmaninov), l’écriture classique de Youri Chaporine offre à ces textes une ligne mélodique parfois simple mais plus souvent très riche en harmoniques, faisant sens avec les textes de Blok, conjuguant ainsi avec dextérité des moments très contrastés de grande virtuosité avec d’autres plus simples et plus évocateurs du texte, passant d’un rythme de valse à quelques petites notes pour évoquer le bruit du vent.
Mariam Sarkissian, mezzo-soprano moscovite, qui a fait ses études de chant à Paris, n’est pas inconnue du public français (on a pu la voir notamment en décembre 2012 en Oreste de La Belle Hélène au théâtre du Capitole à Toulouse). Elle sert ici avec un très grand talent ces mélodies. Son timbre magnifique, très homogène, très souple sur l’ensemble de la tessiture et si riche en nuances embrasse avec un réel bonheur ce répertoire de mélodies russes. Sa palette vocale, d’une exceptionnelle richesse, sait vous séduire et, très vite, l’émotion vous envahit. Mezzo à la voix puissante, Maria Sarkissian sait ici être «mélodiquement lyrique», agile, sans jamais trop en faire. De la puissance dans la retenue, de la belle ouvrage!
L’accompagnement au piano d’Artur Avanezov n’est pas étranger à cette réussite, sa musicalité et sa grande complicité avec notre mezzo confèrent au final à cet enregistrement une très belle unité.
Ces mélodies de Chaporine sont ici complétées par trois pièces de Georgui Sviridov sur des vers de Blok ( «La girouette», «La fiancée» et «La vierge dans la ville»), tirées du cycle vocal Poème Pétersbourg pour voix et piano.
Elève de la classe de composition de Dmitri Chostakovitch, l’écriture de Sviridov est à la fois plus simple et plus originale, très différente de celle de Chaporine, ces deux musiciens n’ayant en commun que leur attachement à la poésie de Blok, raison qui a sans doute conduit ici à les réunir.
Ces dernières œuvres de Sviridov, interprétées tout aussi excellemment par nos deux artistes, achèvent ainsi ce bien séduisant voyage dans l’univers de la mélodie russe.
Christophe BERNARD
Publié le 04/05/2015 à 23:31, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.