Carlos Païta

Moussorgski, Berlioz
CD Le Palais des dégustateurs.

Dans son émission radiophonique sur France Musique Relax, Lionel Esparza fait entendre régulièrement des «disques de légendes». On ne sait s’il a déjà mis dans sa programmation cet enregistrement signé Carlos Païta, mais il entre de plein pied dans cette prestigieuse catégorie. Le chef d’orchestre argentin (1932-2015) est un de ceux qui donnent aux œuvres interprétées une touche personnelle, unique, où la passion, la vigueur, la fougue expriment en l’exaltant une émotion intérieure brûlante. On trouve sur son site une tentative d’expliciter le mystère Païta. On peut y lire ceci: «il bouscule [les partitions] pour les faire exploser, ou bien, il les déstabilise par d’invraisemblables et périlleuses simulations d’implosion! Apparaissent alors d’incroyables fluctuations de tempo qui lui permettent d’extirper l’essence charnelle de l’œuvre, son souffle interne et ses passions inavouées. Il fait preuve d’une science bien particulière des timbres, aussi maîtrisée qu’intuitive. Il les torture, et ce sont des éclats tonitruants des cuivres. Il les renverse, et ce sont des thèmes secondaires mis en évidence jusqu’à l’étourdissement et des écarts de dynamique pharamineux. Il les flatte encore, et ce sont des sonorités uniques des cors et une présence énorme et inquiétante des cordes graves». Les deux chefs d’œuvre ici réunis se prêtent magnifiquement à ces interprétations dévorantes, dévorées elles-mêmes d’un feu intérieur intense: les Tableaux d’une exposition de Moussorgski orchestrées par Ravel, la Symphonie fantastique de Berlioz. Et les enregistrements live (1981, 1978) ajoutent au CD une urgence, une immédiateté qui rendent le lecteur témoin et acteur d’une expérience sensorielle puissante. On peut préférer des interprétations plus subtiles, plus nuancées – même si Carlos Païta sait rendre certaines phrases transparentes et légères. Il n’en est guère de plus tellurique, de plus électrique. Deux exemples par œuvre suffiront pour rendre compte de cette ardeur communicative. Le Bydlo du quatrième tableau sous un «ciel bas et lourd» baudelairien voit s’écrouler sur lui un orage tonitruant qui après avoir grondé ruisselle d’un flot noir semblant tout emporter sur son effrayant passage. Où peut-on écouter une Grande Porte finale aussi monumentale, une marche triomphale aussi colossale, une coda aux cloches plus entêtantes? Et chez Berlioz, si le Bal et sa valse tournoient en scintillant comme jamais, la Marche au supplice ne laisse aucun répit dans sa terrifiante montée dramatique.
Merci aux éditeurs de faire revivre avec une prise de son qui rend justice aux qualités des deux orchestres londoniens ces puissants témoignages d’un chef d’orchestre rare.

Jean Jordy
Publié le 06/05/2025 à 16:25.