Sonates pour violon et piano
J-J Kantorow, H Ueda
Sonates pour violon et piano de Grovlez, Fauré, Gedalge, Ravel, Enesco. Canzonnetta de D’Ambrosio. Jean-Jacques Kantorow, violon, Haruko Ueda, piano. Double CD Soupir Editions.
Sous le titre très Belle Epoque de Sonates parisiennes à l’orée du XXe siècle, Jean-Jacques Kantorow et Haruko Ueda publient un double CD enregistré en grande partie en 2019, et pour Enesco en 2004, de musique de chambre française d’un haut raffinement et d’une intense poésie. La cohérence de l’ensemble s’impose: les six compositeurs réunis se connaissaient, s’appréciaient, se respectaient, peut-être même s’influençaient-ils et l’on sent des affinités profondes entre les sonates pour les deux instruments. L’excellent livret d’accompagnement souligne la proximité entre les hommes, entre leurs œuvres, tout en distinguant avec acuité la singularité de chacun. Une éclairante citation de Proust explique la récurrence des sonates dans cette période par la volonté de «faire éclater à chaque instant l’invention et le génie dans ce qui semblait le domaine borné de la tradition, de l’imitation et du savoir». Pour une analyse fine de chacune, on renverra aux commentaires précieux de Christine Mennesson, compositrice, musicologue et pédagogue. De cet ensemble, riche et harmonieux, la sonate de Gabriel Grovlez (1879-1944), élève de Fauré, condisciple et ami de Ravel, fait émerger son architecture nette, robuste et aérienne comme une cathédrale gothique. Portée par deux interprètes en profonde harmonie, la seconde sonate de Fauré chante et enchante. A l’opposé de la sonate n°1, virtuose et extérieure, elle apparait plus mélodique, plus intime, et néanmoins d’une force expressive intense. L’Andante sévère – superbe analyse dans le livret d’Hélène Jourdan-Morhange violoniste qui a travaillé avec le compositeur – développe, portée surtout par un violon lyrique, une ligne mélodique continue dont l’avancée régulière se pare ici de claire poésie. Jean-Jacques Kantorow a déjà enregistré la seconde sonate d’André Gedalge (1856-1926) avec au piano son fils Alexandre (NoMad Music 2014). Il l’interprète ici avec l’ex-professeure d’Alexandre Kantorow au Conservatoire National Supérieur de Paris. Ce compositeur méconnu, qui eut comme élève Nadia Boulanger, Enesco, Honegger, Ibert, Milhaud, Ravel, Jean Wiener et… Grovlez a écrit une œuvre pleine de vigueur. Clarté et détermination la caractérisent, mais aussi une forme de noblesse calme, sans ostentation, d’équilibre sans austérité. Les deux interprètes, idéalement complémentaires, lui confèrent une émotion discrète qui trouve son acmé dans un Andante con moto suspendu, et une alacrité qui s’épanouit in fine. L’unique mouvement de la sonate dite posthume du jeune Ravel (1897) éditée en 1975 a un charme fou, avec ses foucades, ses élans et ses rêveries dont Kantorow et Ueda, desquels on ne louera jamais assez les qualités de clarté, de rigueur et de vigueur, servent les tendres hésitations. Les deux sonates n°2 et 3 d’Enesco empruntent au folklore roumain pour, s’en nourrissant, le transformer en pages et moments musicaux de couleurs très variés, entre brumes et soleils, en rythmes enflammés ou mouvements plus secrets, rappelant quel intense musicien, ainsi servi, se confirme le compositeur. Les deux interprètes s’engagent avec flamme dans la défense de ces deux inventives sonates.
On peut s’étonner qu’il ait fallu près de 20 ans entre le premier jour de l’enregistrement et la publication pour composer ce double album. La musique n’a nul besoin de vieillir comme les grands vins pour s’épanouir. Mais en l’état, le label Soupir éditions propose un cru d’exception. Par leur lyrique connivence, par les correspondances entre les œuvres qu’ils ont choisies, Jean-Jacques Kantorow et Haruko Ueda signent un très bel enregistrement de musique française énergique, limpide, lumineuse.
Jean Jordy
Sous le titre très Belle Epoque de Sonates parisiennes à l’orée du XXe siècle, Jean-Jacques Kantorow et Haruko Ueda publient un double CD enregistré en grande partie en 2019, et pour Enesco en 2004, de musique de chambre française d’un haut raffinement et d’une intense poésie. La cohérence de l’ensemble s’impose: les six compositeurs réunis se connaissaient, s’appréciaient, se respectaient, peut-être même s’influençaient-ils et l’on sent des affinités profondes entre les sonates pour les deux instruments. L’excellent livret d’accompagnement souligne la proximité entre les hommes, entre leurs œuvres, tout en distinguant avec acuité la singularité de chacun. Une éclairante citation de Proust explique la récurrence des sonates dans cette période par la volonté de «faire éclater à chaque instant l’invention et le génie dans ce qui semblait le domaine borné de la tradition, de l’imitation et du savoir». Pour une analyse fine de chacune, on renverra aux commentaires précieux de Christine Mennesson, compositrice, musicologue et pédagogue. De cet ensemble, riche et harmonieux, la sonate de Gabriel Grovlez (1879-1944), élève de Fauré, condisciple et ami de Ravel, fait émerger son architecture nette, robuste et aérienne comme une cathédrale gothique. Portée par deux interprètes en profonde harmonie, la seconde sonate de Fauré chante et enchante. A l’opposé de la sonate n°1, virtuose et extérieure, elle apparait plus mélodique, plus intime, et néanmoins d’une force expressive intense. L’Andante sévère – superbe analyse dans le livret d’Hélène Jourdan-Morhange violoniste qui a travaillé avec le compositeur – développe, portée surtout par un violon lyrique, une ligne mélodique continue dont l’avancée régulière se pare ici de claire poésie. Jean-Jacques Kantorow a déjà enregistré la seconde sonate d’André Gedalge (1856-1926) avec au piano son fils Alexandre (NoMad Music 2014). Il l’interprète ici avec l’ex-professeure d’Alexandre Kantorow au Conservatoire National Supérieur de Paris. Ce compositeur méconnu, qui eut comme élève Nadia Boulanger, Enesco, Honegger, Ibert, Milhaud, Ravel, Jean Wiener et… Grovlez a écrit une œuvre pleine de vigueur. Clarté et détermination la caractérisent, mais aussi une forme de noblesse calme, sans ostentation, d’équilibre sans austérité. Les deux interprètes, idéalement complémentaires, lui confèrent une émotion discrète qui trouve son acmé dans un Andante con moto suspendu, et une alacrité qui s’épanouit in fine. L’unique mouvement de la sonate dite posthume du jeune Ravel (1897) éditée en 1975 a un charme fou, avec ses foucades, ses élans et ses rêveries dont Kantorow et Ueda, desquels on ne louera jamais assez les qualités de clarté, de rigueur et de vigueur, servent les tendres hésitations. Les deux sonates n°2 et 3 d’Enesco empruntent au folklore roumain pour, s’en nourrissant, le transformer en pages et moments musicaux de couleurs très variés, entre brumes et soleils, en rythmes enflammés ou mouvements plus secrets, rappelant quel intense musicien, ainsi servi, se confirme le compositeur. Les deux interprètes s’engagent avec flamme dans la défense de ces deux inventives sonates.
On peut s’étonner qu’il ait fallu près de 20 ans entre le premier jour de l’enregistrement et la publication pour composer ce double album. La musique n’a nul besoin de vieillir comme les grands vins pour s’épanouir. Mais en l’état, le label Soupir éditions propose un cru d’exception. Par leur lyrique connivence, par les correspondances entre les œuvres qu’ils ont choisies, Jean-Jacques Kantorow et Haruko Ueda signent un très bel enregistrement de musique française énergique, limpide, lumineuse.
Jean Jordy
Publié le 03/07/2023 à 19:29, mis à jour le 03/07/2023 à 19:32.