Théâtre du Capitole
> 23 novembre

Written on skin

George Benjamin
George Benjamin, photo Robert Millard. Autres photos : Patrice Nin.
Livret de Martin Crimp d’après Le Cœur mangé, récit en prose occitane de la vie du Troubadour Guilhem de Cabestanh

Direction Franck Ollu
Orchestre du Capitole

La création de Written on skin au festival d’Aix en juillet avait suscité une rumeur flatteuse peu surprenante pour qui appréciait déjà la musique instrumentale du compositeur. En fait, c’était bien en dessous de la réalité du spectacle bouleversant que les spectateurs du Capitole ont pu voir et entendre. Travaillant ensemble, l’auteur et le compositeur ont transformé une banale histoire de vieux mari désagréable qui se fait doubler, alors qu’il n’accordait guère d’attention à sa jeune épouse, et qui se venge en un sublime poème dramatique à portée beaucoup plus large et surtout plus originale. Agnès est belle, mais ne sait rien et son mari la considère comme sa chose et à l’instar du sinistre mari de la Mégère apprivoisée de Shakespeare, il lui impose non seulement ce qu’elle doit faire, mais ce qu’elle doit être.

L’amour découvert avec le jeune enlumineur qui la révèle à elle-même tout en peignant les mots la bouleverse si fort qu’elle doit le clamer, quel que soit le prix à payer. Son jeune amant sera tué par le mari qui lui fera manger le cœur de celui qu’elle a tant aimé et elle réagit en affirmant n’avoir jamais rien goûté de si suave et échappe au couteau vengeur de son mari en se jetant dans le vide par la fenêtre. La langue est simple et parvient à créer une atmosphère d’autant plus dramatique que les héros agissent et parlent en même temps qu’ils sont des récitants, leur propos se trouvant prolongé par le commentaire chanté des anges.

George Benjamin explique avoir composé pour des artistes déterminés, sans que ce soit figé, créant une triade soudée de la musique, du texte et de l’interprétation à laquelle la direction de Franck Ollu, toute en nuance, apporte la résonance et la profondeur de l’orchestre, usant au demeurant d’instruments anciens ou rares.
La mise en scène calée sur la scène peu profonde de l’Archevêché est intéressante, avec de bons jeux et contrastes de lumière, de postures hiératiques ou au contraire agitées. On peut vraiment applaudir sans réserve une création intégrée très réussie. Mais ce n’est pas tout, on est ému parce que sont suggérés tous les grands dilemmes qui secouent la société. Par le truchement d’une légende retravaillée, on touche à la question de l’éducation, de l’égalité, de la violence, de la passion. Tout est suggéré et c’est la tension dramatique créée par des voix exceptionnelles qui fait passer du cas particulier aux questions générales. La superbe voix de contre-ténor du Garçon-1e ange, incarné par Tim Mead, rend avec subtilité les phases de l’évolution de ses sentiments et de ceux qu’il a fait naître. Agnès, interprétée par Agnès Hannigan, est une chrysalide qui devient papillon, les notes qu’elle chante la font littéralement changer d’état. Elle choisit sa mort parce qu’elle a touché à la plénitude de l’amour, ce qui ôte toute importance à ce qui peut lui arriver. Désormais elle sait la passion, la beauté, rien ne le lui ôtera. Face à ce duo, la place du mari, le Protecteur, n’est pas facile à tenir, il incarne tout ce que l’on n’aime guère: il est borné, brutal, butté dans ses certitudes. Pourtant, il est dramatiquement présent alors que le compositeur aurait pu le réduire à une caricature. Il est un contre-modèle, mais finalement très réaliste de ceux qui, nourris de certitudes, en oublient de penser, de ressentir et sont en quelque sorte morts bien avant leur dernier souffle. Il exprime à sa manière une sorte de souffrance.

Christopher Purves, lui aussi créateur du rôle, lui apporte une présence et une force terribles. En lui donnant du corps, il souligne sans que cela soit dit expressément la force du mal, qui pourtant ne gagne pas, puisque les anges sourient à Agnès.

Bref, une soirée exceptionnelle associant tragédie et espoir et en paraphrasant le garçon qui dessinait les mots, George Benjamin nous fait voir sa musique au travers des larmes d’émotion qui perlaient dans les yeux de bien des spectateurs, qui ont d’ailleurs attendu un bref instant avant d’applaudir à tout rompre.

Danielle Anex-Cabanis

Publié le 28/11/2012 à 14:29, mis à jour le 26/01/2019 à 19:35.