Chopin, Concerto n°1 et Mazurkas
Margarita Höhenrieder, piano
Chopin, Concerto n°1 pour piano, Mazurkas. Margarita Höhenrieder, piano, Orchestre La Scintilla, Riccardo Minasi, direction. CD Solo Musica.
Malgré une carrière déjà longue et de nombreux enregistrements (plus de quinze autour de Mozart, Beethoven, Schumann, Poulenc… ), la pianiste allemande Margarita Höhenrieder n’est guère connue chez nous. Depuis son premier prix au Concours international de piano Busoni en 1981, elle donne récitals et concerts, en soliste, avec orchestre et en qualité de chambriste. La liste des partenaires avec lesquels elle a joué est prestigieuse. Elle consacre cet album à Frédéric Chopin, sans totalement convaincre.
Solennelle, la longue introduction orchestrale du premier concerto retarde l’entrée en lice du piano qui, pour faire pardonner son retard, brille, étincelle, virevolte, et capte l’écoute jusqu’à une coda où l’orchestre reprend le dessus. Le premier mouvement manifeste les qualités techniques de l’interprète, mais souffre du décalage entre la chaleur des uns et la sévérité de l’autre. La Scintilla que dirige Riccardo Minasi, violoniste de formation et spécialiste de musique baroque, développe des lignes mélodiques souples et chantantes. Les instruments anciens enveloppent de leurs sonorités rondes le discours de la soliste. Mais l’auditeur s’étonne de la froideur du chant du piano, précisément articulé, mais sans le legato que la partition appelle. La virtuosité est bien au rendez-vous, mais manquent l’émotion et le charme. Est-ce le choix de l’instrument, un piano forte un peu maigre, qu’il faut incriminer ou la prise de son? Tout sonne sec. Le deuxième mouvement apparait plus moelleux: le larghetto n’est-il pas comme un nocturne qui doit selon le compositeur se maintenir «dans un sentiment romantique tranquille, en partie mélancolique»? L’orchestre est feutré à souhait, estompé pour permettre au piano d’épancher sur un tapis de cordes la mélodie intime d’un cœur amoureux, tendre et cependant empreint de tristesse. Le rythme élu permet d’élargir et d’élever le sentiment avec dignité et une réelle perfection formelle. Margarita Höhenrieder ne parvient pas encore à émouvoir, mais la ligne de chant est belle. Le Rondo et le Vivace jaillissent avec la juvénilité et l’humour que l’on peut attendre et corrigent l’impression première: l’accord entre les deux parties prenantes se fait total pour des dialogues pleins d’esprit. Après ce concerto, Chopin quitte la Pologne. Et les mazurkas tout au long de sa vie d’exil disent la nostalgie du pays. Le musicien en a écrit près de soixante; l’interprète en joue ici dix, présentées dans un ordre qui interroge. Elle semble avoir privilégié la variété rythmique, la richesse harmonique, la densité diversifiée des textures, l’empan chronologique, de 1830 à 1849. Plus propices à l’expression lyrique intime qu’à la danse, elles ouvrent autant sur la confession pudique que sur l’inventivité. On apprécie l’art du rubato de la première de l’opus 24, ce très léger boitement ici élégamment ironique, la vivacité faussement rustique de la suivante. Pourquoi enchainer avec les n°4 des opus 17 et 33, sinon pour varier à l’excès les tonalités et les climats, sans que l’auditeur voie la cohérence du projet global? On continue à apprécier le jeu rythmique de la pianiste, très douée pour retarder ou avancer telle note et distillant ainsi une fantaisie de bon aloi. La fameuse mazurka opus 50 n°3 en Ut dièse mineur apparait au cœur de l’ensemble représentative de l’inventivité de Chopin que l’interprète, moins rêveuse que démonstrative, manifeste sans réelle poésie. Les autres Mazurkas confirment cette impression: un jeu appliqué, savant, une absence de charme.
La concurrence est rude entre les interprètes de ces œuvres. Margarita Höhenrieder, malgré d’évidentes qualités et une expérience de musicienne accomplie, ne bouscule pas notre palmarès de cœur en proposant un Chopin probe, mais trop froid. Le livret en allemand et en anglais seulement prouve une fois encore combien trop de labels s’intéressent peu aux mélomanes francophones. On le déplore.
Jean Jordy
Malgré une carrière déjà longue et de nombreux enregistrements (plus de quinze autour de Mozart, Beethoven, Schumann, Poulenc… ), la pianiste allemande Margarita Höhenrieder n’est guère connue chez nous. Depuis son premier prix au Concours international de piano Busoni en 1981, elle donne récitals et concerts, en soliste, avec orchestre et en qualité de chambriste. La liste des partenaires avec lesquels elle a joué est prestigieuse. Elle consacre cet album à Frédéric Chopin, sans totalement convaincre.
Solennelle, la longue introduction orchestrale du premier concerto retarde l’entrée en lice du piano qui, pour faire pardonner son retard, brille, étincelle, virevolte, et capte l’écoute jusqu’à une coda où l’orchestre reprend le dessus. Le premier mouvement manifeste les qualités techniques de l’interprète, mais souffre du décalage entre la chaleur des uns et la sévérité de l’autre. La Scintilla que dirige Riccardo Minasi, violoniste de formation et spécialiste de musique baroque, développe des lignes mélodiques souples et chantantes. Les instruments anciens enveloppent de leurs sonorités rondes le discours de la soliste. Mais l’auditeur s’étonne de la froideur du chant du piano, précisément articulé, mais sans le legato que la partition appelle. La virtuosité est bien au rendez-vous, mais manquent l’émotion et le charme. Est-ce le choix de l’instrument, un piano forte un peu maigre, qu’il faut incriminer ou la prise de son? Tout sonne sec. Le deuxième mouvement apparait plus moelleux: le larghetto n’est-il pas comme un nocturne qui doit selon le compositeur se maintenir «dans un sentiment romantique tranquille, en partie mélancolique»? L’orchestre est feutré à souhait, estompé pour permettre au piano d’épancher sur un tapis de cordes la mélodie intime d’un cœur amoureux, tendre et cependant empreint de tristesse. Le rythme élu permet d’élargir et d’élever le sentiment avec dignité et une réelle perfection formelle. Margarita Höhenrieder ne parvient pas encore à émouvoir, mais la ligne de chant est belle. Le Rondo et le Vivace jaillissent avec la juvénilité et l’humour que l’on peut attendre et corrigent l’impression première: l’accord entre les deux parties prenantes se fait total pour des dialogues pleins d’esprit. Après ce concerto, Chopin quitte la Pologne. Et les mazurkas tout au long de sa vie d’exil disent la nostalgie du pays. Le musicien en a écrit près de soixante; l’interprète en joue ici dix, présentées dans un ordre qui interroge. Elle semble avoir privilégié la variété rythmique, la richesse harmonique, la densité diversifiée des textures, l’empan chronologique, de 1830 à 1849. Plus propices à l’expression lyrique intime qu’à la danse, elles ouvrent autant sur la confession pudique que sur l’inventivité. On apprécie l’art du rubato de la première de l’opus 24, ce très léger boitement ici élégamment ironique, la vivacité faussement rustique de la suivante. Pourquoi enchainer avec les n°4 des opus 17 et 33, sinon pour varier à l’excès les tonalités et les climats, sans que l’auditeur voie la cohérence du projet global? On continue à apprécier le jeu rythmique de la pianiste, très douée pour retarder ou avancer telle note et distillant ainsi une fantaisie de bon aloi. La fameuse mazurka opus 50 n°3 en Ut dièse mineur apparait au cœur de l’ensemble représentative de l’inventivité de Chopin que l’interprète, moins rêveuse que démonstrative, manifeste sans réelle poésie. Les autres Mazurkas confirment cette impression: un jeu appliqué, savant, une absence de charme.
La concurrence est rude entre les interprètes de ces œuvres. Margarita Höhenrieder, malgré d’évidentes qualités et une expérience de musicienne accomplie, ne bouscule pas notre palmarès de cœur en proposant un Chopin probe, mais trop froid. Le livret en allemand et en anglais seulement prouve une fois encore combien trop de labels s’intéressent peu aux mélomanes francophones. On le déplore.
Jean Jordy
Publié le 06/02/2023 à 19:54, mis à jour le 06/02/2023 à 19:55.