Passion for Ukraine

Lena Belkina, mezzo soprano
Passion for Ukraine, Lena Balkina, mezzo soproano, Violina Petrychenko, piano. Chants traditionnels, Mélodies d’Alchevsky, Stetsenko, Zherbin, Razumeiko. CD solo musica.

Le site irremplaçable Operabase informe le mélomane sur les performances récentes de la chanteuse ukrainienne Lena Belkina. Pauline au Liceu de Barcelone dans La Dame de Pique, Smeton à Genève dans l’Anna Bolena de Donizetti, en concert aux côtes de Marc Emmanuel Cencic à Moscou en décembre 2021 (deux mois donc avant le déclenchement de l’invasion russe), elle a par ailleurs enregistré chez Sony Classical deux récitals consacrés au bel canto (Rossini, Donizetti, Bellini) et à Mozart et Gluck. Elle met aujourd’hui sa voix chaude et sa passion au service de la musique de son pays. Trois chants traditionnels ouvrent l’album, empreints de nostalgie, graves et poignants. Peut-être la cantatrice en les interprétant avec un excès d’émotion leur fait-elle perdre un peu de leur touchante simplicité: ainsi du deuxième, trop extériorisé. Dans les douces mélodies de deux compositeurs de la même génération, Gregory Alchevsky (1866 – 1920) et Kyrylo Stetsenko (1882 – 1922), les thèmes lyriques de la nature (végétaux, oiseau, soleil, lune, étoiles) et des saisons permettent l’expression humble de sentiments discrètement mélancoliques. Les deux interprètes en harmonie leur confèrent leur juste poids de tendresse et de tristesse. Nous découvrons en Mykhailo Zherbin (1911 – 2004) un compositeur vraiment original, tant par le traitement de la voix - ici ample et chatoyante par exemple dans la Vocalise-prélude – que dans celui de l’instrument: il dépasse le seul accompagnement pour devenir à part entière chantre du lied. Et les «dernières fleurs» (Ostanni kvity) déploient une mélodie dont la simplicité et le dépouillement étreignent. Par une pertinente gradation chronologique qui signe une trop brève anthologie de la mélodie ukrainienne jusqu’à nos jours, le récital se clôt avec trois pièces d’Illia Razumeiko né en 1989. La Dédicace se révèle un vibrant mouvement de l’âme qu’une superbe note tenue finale projette dans un au-delà mystérieux. La Berceuse témoigne d’un art d’utiliser les genres traditionnels en les innervant d’une savante et subtile modernité. L’Agnus Dei du Requiem pour Marioupol ancre l’album dans la réalité tragique que vivent aujourd’hui les habitants de l’Ukraine. On sait que ce port du Donbass a été détruit à 90%. La ferveur de l’interprète renforce la beauté de cette prière poignante qui sait aussi s’indigner et pleurer.
Le contexte de guerre donne à cet album une grande puissance émotionnelle qu’approfondissent le choix des mélodies et leur interprétation engagée et émue. Les compositeurs élus traduisent avec une efficace économie de moyens la tendresse, la douleur, la colère et la foi qui habitent l’âme vibrante de leur pays. Saluant cette réussite, on regrette d’autant plus que le livret autobiographique ne soit pas traduit en langue française, pas davantage que les textes des mélodies ukrainiennes, trop méconnues. L’auditeur francophone aurait partagé avec une plus forte implication la «passion pour l’Ukraine».

Jean Jordy
Publié le 16/01/2023 à 20:03.