Metamorphosis
Glass, Ravel, Pépin
Philipp Glass, Métamorphosis I à V; Maurice Ravel, Miroirs, I à V; Camille Pépin, Number 1. Célia Oneto Bensaïd, piano. CD NoMadMusic.
Lecteurs cartésiens, vous auriez tort d’attendre que les œuvres de cet enregistrement s’enchaînent dans l’ordre de la présentation initiale. Flattant l’écoute flottante, elles s’entrelacent dans un déroulement construit par l’interprète. Ainsi, la pianiste ouvre-t-elle par Metamorphosis I de Glass, que suit la cinquième pièce des Miroirs ravéliens précédant le Number 1 de Pépin, avant que s’éclairent à nouveau les Miroirs I et II . Ainsi de suite dans une succession qui n’a rien d’arithmétique mais relève d’une réflexion musicale de haute tenue. Le projet artistique, exigeant, rigoureux, s’avère cependant très souple. Célia Oneto Bensaïd explique son entreprise: «En cherchant à provoquer une sensation de lâcher-prise chez l’auditeur, j’ai fait le choix de rompre les cycles et d’alterner les pièces, afin de mener à une écoute différente de ces répertoires». Même si le titre du CD Miroirs (déjà beaucoup utilisé il est vrai) eût mieux reflété la relation qu’entretiennent les œuvres, celui de Metamorphosis apparaît à l’écoute plus profond et plus riche. Inspirées pour deux d’entre elles (les III et IV) par le récit de Kafka La Métamorphose, les cinq parties qui composent le cycle de Glass dessinent une trame sonore d’où semblent peu à peu émerger les autres musiques comme si l’une engendrait ces voisines, les faisait sourdre et se développer dans une sorte de «fondu-enchainé» pour utiliser la métaphore cinématographique de l’interprète elle-même. Plusieurs écoutes sont nécessaires et ne suffisent pas pour pressentir le jeu complexe et miroitant des correspondances de tonalités, de timbres, de couleurs, de rythmes, d’images qu’offre Célia Oneto Bensaïd. De Glass à Ravel, des Miroirs à la jeune compositrice française se développe un climat où la sensualité se mêle à la mélancolie, la méditation à la rêverie, où la sérénité naît de la contemplation. La Vallée des cloches est interprétée avec un art du toucher délicat, un échelonnement des espaces sonores que le Number 1 de Camille Pépin, la plus longue page de l’album (avec Miroirs III), prolonge en les élargissant de sa mystérieuse fluidité aux rythmes doux ou entêtants. Les Noctuelles et leur vol léger trouvent toute leur situation à la suite avant d’imposer leur climat nocturne que relaient les Oiseaux tristes, «oiseaux perdus dans une sombre forêt aux heures les plus chaudes de l’été» selon Ravel qui les fait se succéder dans son cycle. Ici encore l’art de la pianiste joue avec les couleurs, les transparences, les silences que troublent des accords plus sombres. La quatrième «métamorphose» de Glass fait résonner alors une suite qui rappelle telle sonate de Beethoven dont la main gauche répéterait à l’infini le motif d’entrée: elle prépare Une barque sur l’océan et son ondoiement permanent. Ils trouvent tout «naturellement» leur écho dans les deux Glass à venir si délicats sous leurs similaires ressacs. Ainsi l’auditeur semble invité à parcourir un chemin onirique d’un paysage à un autre, d’un état du jour à une heure plus secrète, d’un climat à une autre atmosphère, mais sans heurt, comme se succèdent parfois les images dans un rêve. L’Alborade del gracioso n’est plus seulement in fine la sautillante et burlesque aubade du bouffon à une bien aimée moqueuse, mais l’exercice sonore où le piano se fait guitare, castagnettes, danse, jeu introduisant la cinquième Métamorphosis de Glass qui apparaît presque douloureuse dans ses obstinato et ses nouvelles ondulations.
Chaque auditeur, chaque audition créeront des associations singulières. C’est le grand mérite de ce disque que d’offrir cette pluralité de sens et de sensations. Célia Oneto Bensaid est plus qu’une remarquable pianiste. C’est une musicienne qui fait de l’interprétation un espace renouvelé de création.
Jean Jordy
Lecteurs cartésiens, vous auriez tort d’attendre que les œuvres de cet enregistrement s’enchaînent dans l’ordre de la présentation initiale. Flattant l’écoute flottante, elles s’entrelacent dans un déroulement construit par l’interprète. Ainsi, la pianiste ouvre-t-elle par Metamorphosis I de Glass, que suit la cinquième pièce des Miroirs ravéliens précédant le Number 1 de Pépin, avant que s’éclairent à nouveau les Miroirs I et II . Ainsi de suite dans une succession qui n’a rien d’arithmétique mais relève d’une réflexion musicale de haute tenue. Le projet artistique, exigeant, rigoureux, s’avère cependant très souple. Célia Oneto Bensaïd explique son entreprise: «En cherchant à provoquer une sensation de lâcher-prise chez l’auditeur, j’ai fait le choix de rompre les cycles et d’alterner les pièces, afin de mener à une écoute différente de ces répertoires». Même si le titre du CD Miroirs (déjà beaucoup utilisé il est vrai) eût mieux reflété la relation qu’entretiennent les œuvres, celui de Metamorphosis apparaît à l’écoute plus profond et plus riche. Inspirées pour deux d’entre elles (les III et IV) par le récit de Kafka La Métamorphose, les cinq parties qui composent le cycle de Glass dessinent une trame sonore d’où semblent peu à peu émerger les autres musiques comme si l’une engendrait ces voisines, les faisait sourdre et se développer dans une sorte de «fondu-enchainé» pour utiliser la métaphore cinématographique de l’interprète elle-même. Plusieurs écoutes sont nécessaires et ne suffisent pas pour pressentir le jeu complexe et miroitant des correspondances de tonalités, de timbres, de couleurs, de rythmes, d’images qu’offre Célia Oneto Bensaïd. De Glass à Ravel, des Miroirs à la jeune compositrice française se développe un climat où la sensualité se mêle à la mélancolie, la méditation à la rêverie, où la sérénité naît de la contemplation. La Vallée des cloches est interprétée avec un art du toucher délicat, un échelonnement des espaces sonores que le Number 1 de Camille Pépin, la plus longue page de l’album (avec Miroirs III), prolonge en les élargissant de sa mystérieuse fluidité aux rythmes doux ou entêtants. Les Noctuelles et leur vol léger trouvent toute leur situation à la suite avant d’imposer leur climat nocturne que relaient les Oiseaux tristes, «oiseaux perdus dans une sombre forêt aux heures les plus chaudes de l’été» selon Ravel qui les fait se succéder dans son cycle. Ici encore l’art de la pianiste joue avec les couleurs, les transparences, les silences que troublent des accords plus sombres. La quatrième «métamorphose» de Glass fait résonner alors une suite qui rappelle telle sonate de Beethoven dont la main gauche répéterait à l’infini le motif d’entrée: elle prépare Une barque sur l’océan et son ondoiement permanent. Ils trouvent tout «naturellement» leur écho dans les deux Glass à venir si délicats sous leurs similaires ressacs. Ainsi l’auditeur semble invité à parcourir un chemin onirique d’un paysage à un autre, d’un état du jour à une heure plus secrète, d’un climat à une autre atmosphère, mais sans heurt, comme se succèdent parfois les images dans un rêve. L’Alborade del gracioso n’est plus seulement in fine la sautillante et burlesque aubade du bouffon à une bien aimée moqueuse, mais l’exercice sonore où le piano se fait guitare, castagnettes, danse, jeu introduisant la cinquième Métamorphosis de Glass qui apparaît presque douloureuse dans ses obstinato et ses nouvelles ondulations.
Chaque auditeur, chaque audition créeront des associations singulières. C’est le grand mérite de ce disque que d’offrir cette pluralité de sens et de sensations. Célia Oneto Bensaid est plus qu’une remarquable pianiste. C’est une musicienne qui fait de l’interprétation un espace renouvelé de création.
Jean Jordy
Publié le 03/03/2022 à 13:10, mis à jour le 03/03/2022 à 13:12.